Les Temps Nouveaux

Jean Grave

Nous conseillons à toutes les personnes intéressées par l’anarchisme de consulter le site « Gallica BNF ». De nombreuses brochures des grands auteurs anarchistes y sont accessibles ainsi que la collection de l’hebdomadaire Les Temps Nouveaux de Jean Grave.Bonne lecture à tous et à toutes.

MES PREMIÈRES RELATIONS AVEC LA MAGISTRATURE DE MON PAYS…

“Le mouvement libertaire sous la troisième république”

“Souvenirs d’un révolté”

La fin de l’année 1882 fut assez mouvementée. Le directeur des mines de Montceau-les-Mines, un nommé Chagot faisait peser sur son personnel une oppression sans bornes. Clérical enragé, ses ouvriers devaient faire montre d’esprit religieux et faire baptiser leurs enfants.

Poussés à bout, les ouvriers se soulevèrent. Une nuit de la fin d’août, une bande de trois à quatre cents hommes, armés de fourches, de revolvers, se répandirent dans la campagne, brisant les croix et les statues de la Vierge plantées aux carrefours des routes, appelant la population aux armes et arrêtant, comme otages, des propriétaires, des curés, des fonctionnaires.

Ces «scènes de désordre», pour parler le langage des gazettes bien pensantes, se renouvelèrent  plusieurs nuits.

Il n’en fallait pas plus pour donner la frousse à ceux qui trouvent que tout est pour le mieux dans la meilleure des sociétés capitalistes. C’était une bonne occasion pour les gouvernants de démontrer qu’ils avaient de la poigne. Non seulement ils firent procéder à des arrestations d’ouvriers de la région, mais ils préparèrent une rafle des anarchistes. Comme je l’ai dit dans le précédent chapitre, dans le milieu de la même année, était paru, à Lyon, le Droit Social, organe hebdomadaire des anarchistes de la région, dont les articles ne tardèrent pas à atteindre un ton auquel, jusque-là, justiciards et gouvernants n’étaient pas habitués. Le Droit Social dut disparaître sous les amendes et les années de prison dont les robins gratifièrent ses gérants. Mais ce ne fut que pour céder la place à l’Etendard Révolutionnaire, dont, pour ne pas perdre de temps, le premier numéro fut déféré à la cour d’assises. La lutte dura jusqu’en juin 1884, c’est-à-dire deux ans.

A l’Etendard succéda la Lutte, qui céda la place au Drapeau Noir, qui fut suivi de l’Emeute qui, elle-même fut remplacée par le Défi. Mais ici, la course à la mort s’accélère. Les nouveaux journaux sont tués au bout de deux ou trois numéros. Après le Défi parut l’Hydre anarchiste qui eut six numéros; l’Alarme qui vint ensuite alla jusqu’à huit. Mais le Droit anarchiste qui lui succéda, tout comme le Défi, n’en eut que trois. Les gérants se succédaient sans interruption. La ténacité anarchiste ne pliant nullement devant les tracasseries, ce fut l’argent qui manqua, pour continuer la lutte. Je reviens à mes moutons.

Le 18 octobre 1882 s’ouvrait le procès des ouvriers arrêtés à Montceau, Blanzy et autres localités dépendant du fief Chagot. La même semaine, on arrêtait Bordat, Bernard, à Lyon. A Paris, nous fûmes cinq à profiter du coche. C’étaient: Crié, secrétaire de rédaction à la Bataille, de Lissagaray, Vaillat, Hémery-Dufoug, orateur populaire dans les réunions, et moi. Il y avait bien un sixième mandat, destiné à E. Gautier, mais celui-ci avait organisé une tournée de conférences et se trouvait en route, lorsque les arrestations furent opérées.

Il m’a même été dit que Gautier, ayant eu vent de ce qui se préparait par Goron, chef de la Sûreté,   un ami de collège – avait organisé cette tournée qui devait le mener à Genève, en vue d’arriver dans cette ville avant que crevât l’orage.

Si la chose est vraie, son calcul tourna contre lui, car, se trouvant à Lyon au moment des opérations judiciaires, ce fut là qu’il fut cueilli, emprisonné et trouvé «bon» pour le procès qui se préparait.

Nous fûmes arrêtés un samedi. Il n’était pas encore cinq heures du matin lorsque je fus réveillé par des coups frappés à ma porte.

Je ne fus nullement surpris…

Jean Grave