Les libertaires avec Alvan et Ahez

Bzh

Autour de la polémique à l’Eurovision : « La langue bretonne a sa place », répond le groupe Alvan & Ahez, critiqué pour chanter en breton leur chanson, « Fulenn », sélectionnée pour représenter la France.

Voilà pourquoi nous sommes d’accord avec ces jeunes chanteurs.

Un des traits marquants de notre époque est sans doute la tendance à l’uniformité culturelle. A mesure que le pouvoir et l’influence des Etats croissent et que le cynisme technocratique dispose de moyens de plus en plus sophistiqués et élaborés, la désagrégation des langues dites régionales s’accélère. Le Breton comme le Basque et l’Occitan par exemple ont été condamnés à mort par la morale d’Etat. Nous connaissons tous et toutes, la terrible sentence du ministre de « l’instruction publique », sept ans après la grande boucherie de 1914-1918 où plus de 160 000 Bretons périrent sans compter les mutilés et les morts en sursis, gazés par l’ennemi. Dans une circulaire du 14 août 1925, répondant à la demande de la Fédération Régionaliste Française dont faisait partie l’instituteur quercynois Antonin Perbosc, Anatole de Monzie proscrivit strictement l’enseignement des langues régionales à l’école : « L’École laïque, pas plus que l’Église concordataire, ne saurait abriter des parlers concurrents d’une langue française dont le culte jaloux n’aura jamais assez d’autels. » Dans une optique parallèle, il déclare toujours en 1925, lors de l’inauguration du pavillon de la Bretagne de l’Exposition internationale des Arts Décoratifs et industriels modernes de Paris : « Pour l’unité linguistique de la France, la langue bretonne doit disparaître. » Le rouleau compresseur de l’Etat est en marche. Il sera interdit de cracher par terre et de parler Breton dans les écoles de la République. De nombreux Bretons subirent des brimades voire des châtiments corporels pour avoir parlé Breton, leur langue maternelle. Il convient de dire à la vérité que plusieurs instituteurs et institutrices Bretons ne participèrent pas à cette mise au pas culturelle. Mais dans l’ensemble, naître pauvre, bretonnant et « plouc » était de mauvaise augure et à la longue, notamment après la Seconde Guerre mondiale, le système étatique français aura raison des langues bretonne, basque, occitane…Seule, la langue corse semble avoir échappé à ce sort, peut-être que le phénomène insulaire a davantage joué en faveur des Corses.

En Bretagne, depuis longtemps, des hommes et des femmes ont réagi contre la lente agonie du Breton, pratiquement interdit dans la vie publique et noyé dans un monde français abreuvé de médias de masse après 1945: TV, radios, journaux nationaux et locaux…L’histoire de la Bretagne devenait lointaine pour de nombreux Bretons plus enclins à entrer dans l’ère de la modernité. On jeta le mobilier en bois sculpté au profit du formica ; on s’exila à nouveau car le travail manquait en Bretagne. L’avenir était sombre… Puis récemment, le développement de la Bretagne sur les plans économique, social et culturel permit enfin l’espoir de voir davantage d’enfants et de jeunes apprendre à bien parler, à lire et à écrire leur langue. Mais revenons à celle-ci, qui est une langue dérivée de l’ancien celtique et apparenté au gallois, au cornique, et aux gaélique d’Ecosse, d’Irlande et de Man. Le Breton possède de remarquables possibilités d’expression, grâce en particulier à sa syntaxe d’une souplesse et d’une variété peu communes, à ses mots rudes et beaux souvent façonnés par de subtiles mutations, et par ses images pittoresques qui rendent si merveilleusement quantité d’idées abstraites.

Des chanteurs connus comme Alan Stivell, Gilles Servat, Glenmor…puis Aziliz Manrow ,Denez Prigent et tant d’autres artistes ont ému et surtout fait perdurer l’héritage des Celtes. Le groupe Alvan & Ahez, qui fusionne électro et chant breton participe donc de cette continuité d’autant que les trois Bretonnes du groupe ont été scolarisées dans une école Diwan (« germer, sortir de terre »). Ecole Diwan dont l’enseignement en immersion a fait ses preuves.

Depuis longtemps, des Bretons se préoccupent de moderniser leur langue. Heureusement la création de mots nouveaux est relativement facile grâce surtout à une masse de préfixes et de suffixes spécifiques. Ainsi : kelaouenn (journal) dérivé de keloù (nouvelle) ; urzhierez (ordinateur) dérivé de urzh (ordre) ; et steredonïezh (astronomie) provenant de stered (étoiles)…

Il en a fallu du courage, de la persévérance pour que la langue bretonne ne disparaisse pas complètement. Aujourd’hui, il est possible d’apprendre le Breton dans de nombreuses communes bretonnes et la promotion du Breton se fait plus courante et facile.

Le groupe Alvan et Ahez, loin des folkoristes, allie la modernité sans perdre de vue les caractères fondamentaux de la langue. Alors chanter en Breton en 2022 est une sacrée revanche sur les jacobins et les autoritaires.

C’est parce que nous sommes des fédéralistes libertaires que nous soutenons ces jeunes chanteurs dans leur optique de chanter en Breton.

Les libertaires ont publié « A mon frère le paysan «  d’Elisée Reclus, en Vannetais et en Trégorois avant la Première Guerre mondiale afin de toucher la ruralité bretonne dans la langue qui était couramment parlée à l’époque. Ce n’est donc pas nouveau pour nous de défendre la langue bretonne.

Notre combat pour la défense de la langue bretonne est un combat humaniste, pour l’amélioration de la condition humaine, et légitime car inspiré par la raison. Notre combat est socialiste libertaire, fédéraliste et s’inscrit dans la grande diversité des langues, de l’épanouissement culturel. Anticapitalistes, nous condamnons tout fascisme (brun ou rouge), tout racisme, tout totalitarisme, tout non-respect de la nature.

Notre combat exclut donc tout nationalisme, contraire aux principes de l’internationalisme ouvrier. Par contre nous affirmons en tant que libertaires la validité de la lutte des classes, notre volonté de s’approprier collectivement des moyens de production et de distribution sous contrôle des syndicats et des Communes pour un partage du temps de travail et des richesses. Pour tendre vers une égalité économique et sociale.

L’établissement d’une réappropriation d’une véritable culture populaire sera la base d’une Bretagne socialiste libertaire. Antimilitaristes, nous affirmons aussi notre volonté de vivre en paix et donc la nécessité d’un désarmement généralisé, avec une priorité immédiate contre tout armement nucléaire.

De nombreux défis se posent à la Bretagne : le renforcement de l’apprentissage de la langue bretonne à tous les niveaux, la réunification avec la Loire Atlantique, la valorisation d’une agriculture Bio et respectueuse de l’environnement, l’amélioration immédiate de la qualité des eaux…Ce sera aux Bretons de décider par et pour eux-mêmes ce qui est bon et à la hauteur des enjeux de demain. Et surtout éviter le piège du nationalisme, prélude de conflits. De nombreux militants ont déjà tiré les leçons du Parti National Breton et son Breizh Atao. Qu’on ne recommence pas de nouvelles erreurs sous d’autres appellations. La Bretagne possède un esprit rebelle ; aux libertaires de construire une véritable Fédération Libertaire de Bretagne.

Sterenn (pour le libertaire)

PS: qu’on m’entende bien, ce texte ne vaut pas quitus à l’eurovision.