L’avenir en numérique

Attentionsurveillance

Excellent article d’Irène Pereira

L’avenir en numérique

Avec le développement de l’école numérique dans le primaire et le secondaire et des MOOCs dans le supérieur, il est nécessaire de commencer à mener une réflexion de fond sur les conséquences à moyen terme des TICE et de la société du numérique.

On peut en effet craindre que comme souvent les enjeux économiques – à savoir la conquête de nouveaux marchés et la réduction de la charge salariale – prennent le pas sur les enjeux en termes d’apprentissages et d’emploi.

S’équiper, pour quoi faire ?

Aujourd’hui la question de l’école numérique est avant tout traitée en termes d’équipement : acquérir des TNI (Tableau numérique interactif), des tablettes….

Or, en amont même des pratiques pédagogiques des enseignants avec ces technologies et de l’équipement des établissements, doit être posé la question de leurs impacts sur les apprentissages. Or les travaux menés sur ces questions, sont loin de mettre de manière unanime en avant les apports en termes cognitifs de ces technologies. Les études les plus étayées mettent en relief l’absence d’impact positif significatif, certaines technologies et pratiques sont même contre-productives sur le plan cognitif.

Ainsi par exemple, qu’une animation visuelle paraisse sympathique aux élèves, cela ne veut pas dire que c’est l’image animée qui permette de mieux comprendre et retenir l’information. Bien souvent, doublée simultanément de texte, de discours et de son, elle les met en état de surcharge cognitive, là où une image fixe, accompagnée d’explication orale, peut être plus efficace.

Il faut remarquer que les rapports officiels sur le sujet du numérique passent sous silence ou minimisent une partie de la littérature significative. On a même parfois l’impression que c’est la capacité des écrans à capter l’attention exogène des élèves qui devient leur principale qualité, c’est-à-dire d’en faire des outils de gestion de classe plus que d’apprentissage.

Par conséquent, on peut avoir le sentiment, que plutôt que les apprentissages, ce sont les intérêts économiques en termes de marchés d’équipements technologiques qui sont prépondérants.

Apprendre avec le numérique, mais pour quel avenir de l’emploi ?

Plusieurs travaux de prospective soulignent le fait que le développement de l’intelligence artificielle et des nouvelles technologies risque d’avoir un impact non négligeable sur les emplois des classes moyennes.

Sont directement dans la ligne de mire des projets technicistes et libéraux, par exemple les emplois d’enseignants : remplacement de tout ou partie du présentiel par des cours en ligne, automatisation des corrections…. Mais, ce n’est pas le seul secteur visé : de nombreux autres professions pourraient être impactées. On peut prendre par exemple le cas récent du développement de « robots-journalistes » capables de remplacer des journalistes humains pour la rédaction d’articles financiers ou basés sur des pronostics  sportifs par exemple.

Ainsi, certains analystes voient se profiler une société socialement plus clivée : avec d’un côté des salariés peu qualifiés chargés par exemple de tâches de maintenance ou de saisie et une classe créative très formée, mais dont il n’est pas assurée en outre que tous soient rémunérés correctement. En effet, il ne suffira pas d’être créatif, mais de savoir également rendre ses idées économiquement rentables.

Face à une telle évolution des compétences, se pose alors la question des savoirs que doivent maîtrisés les élèves pour ne pas être réduits à l’obsolescence. Les adeptes des nouvelles technologies mettent en avant le fait que grâce au numérique les connaissances se trouvent externalisées  et qu’il s’agit surtout d’apprendre à sélectionner et analyser l’information correctement.

Néanmoins, ce modèle simpliste ne correspond pas à ce que nous apprennent les travaux de psychologie cognitive sur l’acquisition des savoirs. En effet, pour pouvoir sélectionner et analyser l’information de manière satisfaisante, il faut disposer en mémoire de connaissances antérieures qui permettent de comprendre l’information.

En définitive, plus que d’externaliser la mémoire et de supprimer les tâches les plus répétitives, l’économie du numérique risque d’exiger des travailleurs pour qu’ils gardent une qualification valable sur le marché de l’emploi, un très haut niveau de formation intellectuelle, renforçant encore les inégalités sociales entre ceux qui ne parviendront pas à atteindre ce niveau d’exigence et une petite élite hautement qualifiée et très bien rémunérée.

Irène Pereira