La laïcité d'un point de vue anarchiste

A bas toutes les religions

La laïcité est affublée d’un tas d’adjectifs de nos jours: laïcité ouverte, de combat, bien pensante….et fortement remise en cause par toutes les religions qui ne l’oublions pas sont prosélytes.

Dans les payas musulmans par exemple, si la laïcité est reconnue dans certains pays comme la Palestine…dans les faits les personnes qui se déclarent athées terminent en prison voire sont exécutées…Alors le combat laïque ne doit rien concédé et reste d’actualité.

 

LAIQUE adj. et subst. (lat. laicus, grec laikos, de laos, peuple)

Au sens strict, est laïque tout chrétien qui n’appartient pas à la hiérarchie ecclésiastique ; d’où le nom de frères lais ou laïcs, donné dans les couvents aux imbéciles qui ne reçoivent point les ordres sacrés et se bornent à remplir le rôle de domestiques. D’après le droit canon, sœurs de la charité, frères des écoles chrétiennes, tous les moines non tonsurés, ainsi que l’armée des nonnes restent dans le rang des laïques, malgré les immenses services qu’ils rendent au catholicisme. Pour être clerc, il faut avoir reçu au moins les ordres mineurs ou la tonsure. Ce dernier grade n’est qu’un signe de prise de possession par les autorités ecclésiastiques ; aussi le donnait-on autrefois, presque au sortir du berceau, aux enfants nobles que l’on destinait à la cléricature. Comme les ordres mineurs, il n’engage ni au célibat, ni à aucune des obligations contractées par le prêtre ou le simple sous-diacre ; mais il permettait autrefois de se soustraire aux tribunaux civils, d’obtenir des bénéfices ecclésiastiques et même d’arriver cardinal. Il n’a plus d’importance aujourd’hui que pour les séminaristes assez bêtes ou assez fourbes pour accepter de devenir les fonctionnaires dociles du Vatican.

 

Le mot laïque a pris un sens bien différent ; il sert à qualifier, à notre époque, toute personne ou toute chose n’étant pas d’Eglise. Sans être prêtres, les frères ignorantins, les jésuites de robe courte, les convers de tout ordre, parfois les sacristains, prétendent se séparer du monde profane et rentrer dans la tribu de Lévi. En s’affublant de cornette et de voile, les femmes elles-mêmes s’imaginent devenir personnes sacrées, oublieuses que l’Eglise les a pour jamais exclues de sa hiérarchie. Car devant le flot montant de l’incrédulité populaire, et pour flatter la vanité d’ouailles assez sottes pour les servir, les autorités ecclésiastiques acceptent de réserver l’épithète de laïques aux hommes, aux doctrines ou aux institutions que n’inspirent pas les idées théocratiques. A lire les écrivains bien- pensants, il apparaît que laïc est, pour eux, synonyme de criminel ou de diabolique ; en conséquence ce maladroit adjectif ne convient plus lorsqu’il s’agit de benoîts serviteurs de messieurs les curés.

 

« Au temps où l’Eglise était toute puissante, elle s’était profondément séparée de la masse populaire et avait constitué une sorte de société à part, avec des institutions spéciales, à elle propre, et surtout elle n’avait pas négligé de se donner tous les avantages qui lui semblaient de nature à assurer sa domination. Dans l’origine, elle avait été pauvre, faible, populaire alors ; devenue puissante, elle cessa d’être libérale et protectrice comme auparavant. Il n’y eut, au contraire, jamais un gouvernement plus avide de pouvoir ni plus jaloux de ses prérogatives ; et, au lieu de rester peuple, de se maintenir dans ce fécond et vivifiant milieu social, elle s’isola de plus en plus, ayant soin de tracer sur tous les points, autant que possible, des lignes de démarcation entre elle-même et le peuple ; elle ne voulut ni porter le même nom que lui, ni vivre de la même vie. Il y eut alors la condition ecclésiastique et la condition laïque, deux juridictions, deux sortes, sinon deux natures de biens, les uns avec privilèges, les autres avec charges, etc. « Tout laïque, dit un ancien règlement, qui rencontrera en chemin un prêtre ou un diacre, lui présentera le cou pour s’appuyer ; si le laïque et le prêtre sont tous deux à cheval, le laïque s’arrêtera et saluera révéremment le prêtre ; si le prêtre est à pied et le laïque à cheval, le laïque descendra et ne remontera que lorsque l’ecclésiastique sera à une courte distance, le tout sous peine d’être interdit pendant aussi longtemps qu’il plaira au métropolitain ». Il faut convenir que l’Eglise et le clergé en ont un peu rabattu depuis, mais ce n’est pas assurément de leur plein gré. Rois et peuples ont eu à lutter successivement et tour à tour pour échapper à ce joug qui durant des siècles, opprima l’Europe corps et âme, à un degré inouï » (Lachâtre).

 

Pleine de défiance pour le simple fidèle, tant qu’elle fut maîtresse, poussant la tyrannie jusqu’à interdire l’enseignement public à quiconque n’était pas clerc, l’Eglise a besoin présentement de ces laïcs si méprisés. On sait que les rois de France étaient chanoines de Rome par droit de naissance ; quiconque est riche ou influent aujourd’hui revêt la dignité de camérier du pape ou de chevalier d’un ordre romain. La jeunesse dorée fournit des brancardiers pour Lourdes, des moniteurs pour le catéchisme, des rabatteurs bénévoles pour toutes les œuvres sacerdotales. Aussi la prélature reconnaissante décerne-t-elle à cette ribambelle calotine les titres de croisés eucharistiques, de pages du Christ, de chevaliers de la croix. Elevés au-dessus du vulgum pecus, ces auxiliaires du clergé ont leur place marquée en fait, sinon en droit, dans la hiérarchie lévitique qui descend, par échelons successifs, des cardinaux aux vulgaires mouchards de sacristie.

 

C’est en matière d’enseignement que l’Eglise s’est déclarée le plus violemment hostile à l’esprit laïc. Comprenant que des intelligences adultes et normales ne sauraient admettre son absurde credo, elle réclama de bonne heure le droit exclusif d’ouvrir des écoles et d’instruire les enfants. Puis, ses prétentions admises, elle se garda de mettre la science à la portée du populaire. Sans doute Charlemagne, dont l’Eglise fit un bienheureux, malgré ses cinquante bâtards, imposa à des évêchés et à des monastères, l’ouverture de quelques écoles ; il en fonda même dans son palais. Mais ces écoles, fort peu nombreuses, furent bientôt supprimées par ordre de Benoît d’Aniane, dans les couvents bénédictins ; et le concile d’Aix-la-Chapelle, en 817 décida qu’on ne recevrait plus de laïques dans les écoles claustrales ; elles ne devaient s’ouvrir qu’aux enfants destinés à la cléricature. Adalbéric, évêque de Laon, avouait au début du XIème siècle que « plus d’un évêque ne savait pas compter sur ses doigts les lettres de l’alphabet » ; et, des nombreux moines de Saint-Gall, un seul pouvait lire et écrire en 1291. Dans le haut moyen-âge, si les ecclésiastiques arrivaient en général à lire, un grand nombre ne savaient pas écrire. A partir du XIIIème siècle, il y eut des écoles de village, mais les élèves n’y apprenaient souvent pas à lire ; ils se bornaient à réciter des prières et des formules de catéchisme. Quant aux Universités, qui devinrent florissantes à cette époque, c’étaient des institutions essentiellement religieuses, dont les professeurs portaient soutane et n’enseignaient qu’avec une permission expresse des autorités ecclésiastiques. La faculté de théologie tenait le premier rang, et celle des arts s’appliquait exclusivement aux matières utiles pour le sacerdoce : grammaire latine, rhétorique, dialectique, plain-chant, étude du calendrier liturgique. La philosophie, réduite à n’être que la servante de la théologie, tournait à vide, s’arrêtant à des jeux de mots, à des chicanes sans grandeur, à des puérilités indignes d’hommes raisonnables.

 

Et jusqu’à la fin du XVIIIème siècle, l’Eglise réussit à maintenir son droit exclusif d’enseigner. Pour lutter contre le protestantisme, les Jésuites organisèrent les écoles secondaires au XVIème ; leurs méthodes furent imitées dans les établissements tenus par le clergé. Quant à l’enseignement primaire, il resta aux mains des frères des Ecoles chrétiennes, fondés par Jean-Baptiste de la Salle, en 1680. Avec Condorcet apparaît, sous la Révolution, l’idée d’un enseignement laïc. Chaque religion, pensait-il, devait être prêchée « dans les temples par ses propres ministres », mais on ne saurait admettre « dans l’instruction publique, un enseignement religieux qui, tout en repoussant les enfants d’une partie des citoyens, détruirait l’égalité des avantages sociaux et donnerait à des dogmes particuliers un avantage contraire à la liberté des opinions ». « Cette proscription doit s’étendre même sur ce qu’on appelle religion naturelle ; car les philosophes théistes ne sont pas plus d’accord que les théologiens sur l’idée de Dieu, et sur ses rapports moraux avec les hommes. C’est donc un objet qui doit être laissé, sans aucune influence étrangère, à la raison et à la conscience de chaque individu ». Condorcet veut la même neutralité à l’égard des opinions politiques, mais il réclame l’enseignement d’une morale fondée « sur nos sentiments naturels et sur la raison ». Napoléon, tout en gardant la haute main sur les écoles, y rendit obligatoire l’instruction religieuse ; pour former des sujets fidèles et des fonctionnaires obéissants, il estimait le catéchisme un adjuvant de premier ordre. L’enseignement redevint confessionnel et prêtres, frères, nonnes firent, en grand nombre, partie du personnel universitaire. Naturellement la Restauration vit croître l’influence calotine ; les éducateurs de tout grade et tout ordre furent à la merci de l’Eglise. En 1833, la loi Guizot prescrivit la fondation d’une école par commune ; la gratuité de l’enseignement primaire, proclamée en 1848, disparut avec l’Empire, mais la loi Falloux permit au clergé d’ouvrir des écoles pour y façonner à sa guise les jeunes cerveaux. Sous le second Empire, l’Eglise fut maîtresse de l’enseignement, même universitaire ; en 1875, elle obtint de pouvoir créer des facultés libres. Mais toute une série de mesures, à partir de 1881, aboutirent à la laïcité actuelle.

 

La loi du 28 mars 1882 porte : « Article 3. – Sont abrogées les dispositions des articles 18 et 44 de la loi du 15 mars 1850, en ce qu’elles donnent aux ministres des cultes un droit d’inspection, de surveillance et de direction dans les écoles primaires publiques et privée et dans les salles d’asile, ainsi que le paragraphe 2 de l’article 31 de la même loi qui donne aux consistoires le droit de présentation pour les instituteurs appartenant aux cultes non catholiques ». Et la loi du 30 octobre 1886 précise : « Article 17. – Dans les écoles publiques de tout ordre, l’enseignement est exclusivement confié à un personnel laïque. Article 18. – Aucune nomination nouvelle, soit d’instituteur, soit d’institutrice congréganiste, ne sera faite dans les départements où fonctionnera depuis quatre ans une école normale soit d’instituteurs, soit d’institutrices, en conformité avec l’article premier de la loi du 9 août 1879. Pour les écoles de garçons, la substitution du personnel laïque au personnel congréganiste devra être complète dans un laps de cinq ans après la promulgation de la présente loi ». Ces mesures furent aggravées par la loi du 7 juillet 1904 qui supprimait l’enseignement congréganiste. « Article premier. – L’enseignement de tout ordre et de toute nature est interdit en France aux congrégations. Les congrégations, autorisées à titre de congrégations exclusivement enseignantes, seront supprimées dans un délai maximum de dix ans. Il en sera de même des congrégations et des établissements qui, bien qu’autorisés en vue de plusieurs objets, étaient en fait exclusivement voués à l’enseignement, à la date du 1er janvier 1903. Les congrégations, qui ont été autorisées et celles qui demandent à l’être à la fois pour l’enseignement et d’autres objets, ne conservent le bénéfice de cette autorisation que pour les services étrangers à l’enseignement prévus par leurs statuts. Article 2. – A partir de la promulgation de la présente loi, les congrégations exclusivement enseignantes ne pourront plus recruter de nouveaux membres et leurs noviciats seront dissous, de plein droit, à l’exception de ceux qui sont destinés à former le personnel des écoles françaises à l’étranger, dans les colonies et les pays de protectorat. Le nombre des noviciats et le nombre de novices dans chaque noviciat seront limités aux besoins des établissements visés au présent paragraphe. Les noviciats ne pourront recevoir d’élèves ayant moins de vingt et un ans ».

 

Une mesure récente vient de modifier cette loi, en autorisant neuf congrégations missionnaires à ouvrir des écoles confessionnelles pour assurer, paraît-il, le recrutement de leurs membres ; les jeunes gens y seront reçus dès l’âge de seize ans. Il s’agit, affirment Poincaré et ses compères, de permettre l’expansion de la langue et de l’influence française à l’étranger ; mais chacun a compris que c’était le premier coup de pioche donné aux institutions laïques, et que le gouvernement français rêvait de réconciliation avec le Vatican. Aussi bien la loi du 7 juillet 1904 ne fut-elle jamais appliquée, même sous les gouvernements qui se disaient anticléricaux. Moines et nonnes se sécularisèrent en bloc ; i1s quittèrent leurs habits, mais restèrent secrètement affiliés à leur ordre et continuèrent d’enseigner. Plus florissante que jamais les écoles congréganistes se bornèrent à changer de nom, en se baptisant écoles libres. Ce fut une belle comédie, favorisée par les tribunaux où les bien-pensants dominent, et par ceux mêmes qui devaient faire appliquer la loi : à commencer par les ministres, heureux de gagner, de la sorte l’occulte bienveillance des bons chrétiens. Dès le début de la guerre, en 1914, on suspendit d’office les lois sur les congrégations ; avec l’approbation tacite des pouvoirs publics, elles se réinstallèrent au grand jour. Elles ne demandent présentement que la consécration légale d’un état de fait visible depuis longtemps ; car les hommes de gauche ne deviennent anticléricaux que lorsqu’ils cessent d’être au pouvoir : pendant la guerre et depuis, tant qu’ils détinrent les principaux ministères, nulle concession ne leur parut contraire à l’esprit de laïcité.

 

Laïcité, d’ailleurs respectueuse de tous les préjugés : « La bibliothèque scolaire, lit-on, dans une circulaire ministérielle de 1919, ne doit contenir que des ouvrages qu’un petit catholique, un petit protestant, un petit israélite, un petit libre-penseur puissent lire sans que leurs parents leur paraissent de pauvres égarés, voués à l’erreur et peut-être marqués pour le mal, sans qu’ils se sentent eux-mêmes tenus en une sorte de suspicion, sans qu’ils aient l’impression de ne pouvoir mériter l’estime particulière qui va naturellement à telle ou telle catégorie de personnes que celle à laquelle ils appartiennent ». Et toujours l’Université se montra, à l’égard du catholicisme, d’une tolérance frisant la servilité. Innombrables sont les croyants dans l’enseignement secondaire et supérieur ; dans les trois quarts des lycées, l’aumônier est le vrai chef de 1’établissement : et, pour obtenir les hauts grades universitaires, il semble indispensable de fréquenter église, temple ou loge. Il est couvert d’avance celui qui viole la neutralité scolaire au profit des idées chrétiennes ; mais on pourchasse sans répit l’adversaire de tous les dieux, anciens ou nouveaux. Bien entendu, morale traditionnelle, patriotisme, préjugés de race, etc., font partie du matériel normal de la laïcité. Jusqu’à la guerre, l’enseignement du premier degré s’était défendu avec énergie contre la mainmise cléricale ; ce temps n’est plus. Les Davidées, institutrices laïques, groupées en association religieuse, déclarent publiquement : « La neutralité de l’Etat est une neutralité confessionnelle, et non pas une neutralité philosophique, c’est-à-dire que c’est une neutralité nécessitée par les conditions de la vie sociale et qui ne s’exerce que sur les confessions religieuses. Ce ne peut être une doctrine comme le scepticisme, encore moins l’athéisme » (Aux Davidées, octobre 1928). « Il faut donc affirmer l’existence d’une morale rationnelle fondée sur Dieu. Il est non seulement possible, mais nécessaire d’enseigner une telle morale dans les établissements publics… Il faut parler de Dieu aux élèves non seulement comme principe de la morale, mais comme objet d’une vertu rationnelle très précise » (Rapport de Carteron). Et fort de l’appui ministériel, le Bulletin des Davidées entre dans de minutieux détails sur la façon d’endoctriner les enfants : « On ne fait pas la prière du matin, ni celle du soir, mais il y a de magnifiques poésies chrétiennes mises en musique. Vous les connaissez toutes. On peut les choisir plus ou moins religieuses, suivant le milieu où l’on se trouve… Au point de vue historique, il y a un moyen d’apostolat magnifique en redressant toutes les erreurs officielles répandues. Mais là, il faut bien dire que les membres de l’enseignement public sont eux-mêmes bien trompés et leur premier devoir est de s’instruire. Signalez-leur donc les livres de Guiraud que nulle institutrice catholique ne devrait ignorer, ceux de Louis Dimier, de Pierre Lasserre… Il y a de bonnes choses dans certains livres de Renan, qu’un prêtre érudit pourrait vous signaler. Après cela, il vous sera beaucoup plus facile d’enseigner la vérité… Au point de vue scientifique, pourquoi ne pas agrémenter chaque leçon par un passage intéressant d’un savant catholique (l’abbé Moreux, par exemple), ou des passages de livres catholiques destinés à la vulgarisation scientifique? Il en existe que vous pourriez signaler les unes aux autres… Travaux de couture ou de broderie. Donner à ces travaux un but pratique ; indiquer les buts en laissant le choix (neutralité!), mais parmi les buts indiqués, ne pas oublier un dessous de vase pour l’autel de l’église par exemple (apostolat!), ou que sais je encore? Mais en tout cas, quelque chose qui dirige l’esprit vers la pensée de Dieu… Mais là il ne faut pas être intransigeants, mais plutôt insinuants ». Et les inspecteurs, gardiens de la laïcité, ne disent rien ; il est vrai que les Davidées sont d’ardentes patriotes et qu’elles défendent avec zèle l’Argent et l’Etat. Si la « Fraternité Universitaire » se permettait la dixième partie de ces attaques contre la neutralité scolaire, en sens inverse naturellement, comme on aurait vite fait de me révoquer ; que d’histoires, que de noises ne me cherchent pas les inspecteurs en mal d’avancement! Voilà où nous en sommes en fait de laïcité, sous la troisième république. Dans son remarquable livre : La Laïque contre l’Entant, paru en 1911, Stephen Mac Say avait parfaitement prévu cette évolution. Et ses critiques n’ont pas vieilli après la tourmente de 1914-1918, preuve qu’elles ne portaient point sur des vices d’un jour, mais sur les plaies durables de notre enseignement. Tout serait à citer : sur l’imbécillité des programmes, sur les défauts rédhibitoires des procédés pédagogiques, sur les buts avoués ou secrets de l’Etat éducateur. « Les sujets laïques nous semblent moins enchaînés parce qu’ils le sont par une multitude de chaînettes. L’énorme chaîne (bien rouillée quand même) du catholicisme nous saisit davantage. A l’école chrétienne on voit toujours Dieu derrière l’homme, par delà la ligature du devoir. A la laïque, une petite brume de doute masque parfois la divinité, mais l’entrave aux filaments multiples l’asservit aux mêmes obscurs impératifs. Et qu’on ne vienne pas me dire que cet esprit, toujours en vigueur dans les programmes, est en voie d’extinction et qu’avec la religion de la Cause première disparaîtra la « base extérieure » (toute de foi) de la morale. Je répondrai que la laïque n’ignore pas que « prétendre plier l’enfant au joug de la discipline et de l’obéissance, créer en lui un principe qui le fasse accepter volontairement la loi du travail et du devoir et ne pas demander cette force à la religion, c’est tenter une œuvre impossible », qu’elle n’est pas irréligieuse, mais autrement religieuse, et que ce n’est pas sa faute si l’emprise de la religion diminue dès que s’humanise son absolu. A mesure que ce point d’appui s’écroule, on asseoit le dogme du Devoir dans le ciel hypothétique d’une religion nouvelle et la Patrie sera le premier Dieu de la décadence ». Puis quelles vues pénétrantes sur l’étouffement systématique de l’initiative chez l’enfant : « Son pauvre corps exubérant est la proie des règlements et des prohibitions. Il ne se meut qu’au commandement. Voici huit heures. Un coup de sifflet. Comme une nuée de moineaux fauchée dans son vol, les enfants s’interrompent dans leurs jeux. Sur deux rangs, la colonne franchit le seuil de l’école. Un silence brusque s’établit. Les coiffures s’abaissent. Salut déférent au caporal pédagogue et au temple scolaire. Les élèves s’insinuent à leurs bancs et, au signal, s’asseyent. Dociles, en apparence du moins, à l’emploi du temps qu’appuie le vouloir du maître, ils se plient aux leçons qui, les mêmes jours, aux mêmes instants, accaparent leurs efforts. A l’ordre ils écrivent, à l’ordre ils récitent, à l’ordre ils déplacent livres et cahiers ». Aussi le bambin de six ans, très ouvert le premier jour, sera plus renfermé le lendemain et complètement refroidi après une semaine de classe… Non que les éducateurs soient toujours coupables, Stephen Mac Say l’a fort bien vu ; dès qu’ils veulent réagir contre la routine, de nombreuses difficultés les assaillent ; matières des programmes, contrôle des directeurs, des inspecteurs, de la bureaucratie, des familles, généralement traditionnalistes, Dans nos écoles laïques, le champ individuel de réaction paraît singulièrement restreint pour le professeur ; il est impossible d’y donner une éducation vraiment humaine. Mais il faudrait des ressources que nous n’avons point pour en fonder d’autres, animées de l’esprit que nous désirons. Ne désespérons pas néanmoins, c’est de notre inertie surtout que résulte le triomphe de nos adversaires.

 

 

 

 

 

– L. BARBEDETTE.