Jules Durand:Lecoin et Durand

Clefs prison

Vers la grève générale

Le soldat Lecoin

Le syndicaliste Durand

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          Pendant l’opération des inventaires sur les biens d’Eglise, quelques officiers supérieurs ou subalternes refusèrent d’obéir, invoquant un cas de conscience.

            Entre temps, un juge d’instruction, M. de Solliers, pour ne pas avoir à établir une procédure contre du monde ayant rossé un commissaire de police, séquestré un sous-préfet, lancé des cailloux et allumé des fagots de bois sur la route de Barbentane pour effrayer  les chevaux montés par des hussards, invoqua aussi un cas de conscience et démissionna à Tarascon.

A tous les officiers, à tous les magistrats de France et de Navarre, nous souhaitons d’imiter ces exemples.

Les peines qu’on leur a infligées se supportent facilement.

Par contre, le piou-piou Lecoin, à Bourges évoque aussi sa conscience et refuse de marcher contre les cheminots en grève. Il passe au conseil de guerre et récolte six mois de prison.

L’on voit là la   lutte de classe, avec toutes ses conséquences, c’est toujours aux pauvres la besace, la légende du lapin venant traquer le chasseur.

Il y a mieux : au Havre, un syndicaliste, le camarade Durand, à tendance réformiste, pas violent le moins du monde, vient d’être condamné à mort pour complicité morale dans une affaire où il est absolument étranger, il a été incriminé d’avoir excité au meurtre, pour à l’assassinat un ouvrier, un malheureux et aussi un misérable, comme tant d’autres qui ne comprennent pas qu’il est dangereux de travailler à la place de ceux qui demandent à leur exploiteurs des concessions apportant des améliorations, ce dont ils ont tant besoin et ce dont ils ont tous les droits.

Le verdict rendu, la presse vénale voyant que cette affaire pouvait faire surgir des conséquences redoutables a cherché à atténuer l’horreur de la condamnation. Durand n’est pas coupable, c’est à la suite d’une rixe d’ivrognes que Dongé, le renard, a trouvé la mort, etc., etc..

Les douze crétins composant le jury, s’ils avaient imité ceux de l’affaire Steinhel, et posé au président cette question : Si à toutes ces questions posées nous répondons oui, qu’en résultera-t-il, et qu’il leur fut répondu : la Mort, certes cela aurait été autre chose.

Passons. Il n’en est pas moins vrai que c’est la fable du Loup et l’Agneau, « ce n’est pas toi, ce n’est pas ton frère, c’est toujours quelqu’un des tiens, » et Durand a été offert en holocauste, en victime expiatoire, sacrifié aux rancunes, aux sottises de la société bourgeoise en délire.

La classe ouvrière, dont nous sommes, laissera-t-elle accomplir la monstruosité jusqu’au bout : Non, mille fois non, elle n’a qu’à montrer les dents et comme il faut.

Ah ! Société bourgeoise, tu jettes l’huile sur le feu, attention, souviens-toi de quelques passages de l’Histoire.

Dans ton milieu, dans la magistrature, dans les Parlements, tout est détraqué ; tu te crois forte et tu es le colosse aux pieds d’argile. Il s’agirait de faire le moindre effort pour que tu fasses la culbute définitive.

Société bourgeoise, tu as déjà la honte dans l’affaire Durand, c’est bien à tes écrivassiers de dire que Dongé a trouvé la mort dans une bataille de soulards, c’est bien à ta caste d’avariés, de pléthoriques, de pourris, d’appeler les ouvriers des ivrognes ; oui, malheureusement la classe ouvrière boit de l’alcool, elle meurt de tuberculose, de privations, alors que les tiens crèvent d’abondance, d’indigestion, d’alcool aussi, la face congestionnée des suites d’une hémoptysie.

Ah ! Oui, si les camarades te connaissaient, ils auraient vite fait de te balayer ; tu es tarée jusque dans la moelle des os. Ceux qui ont lu Emile Zola, Ajalbert, Anatole France, Octave Mirbeau, bourgeois eux-mêmes, nous ont édifiés sur ta mentalité.

Société bourgeoise, pour renverser la caste nobiliaire tu fus grande, pour anéantir le titre de noblesse et avoir les titres de rente, malgré tes prodiges de jadis, tu touches à ta fin, la décadence s’approche.

Tu fus habile à remplacer les hommes croyant tenir le pouvoir d’essence divine, tu as tout corrompu avec ton or, les ministres de ta République, après avoir joué les de Morny de la grève générale, sont devenus les Briand-Maupas pour t’affoler, demain Briand serait le Thiers de la répression féroce, impitoyable des organisations ouvrières du prolétariat dont il croit la veulerie indécrottable. Seulement il y a chez nous des révoltés, des résolus, des clairvoyants qui y voient assez clair pour ne pas tomber dans les traquenards tendus continuellement, il y a aussi de la stratégie.

Bourgeoisie stupide et lâche, rêve donc toujours les massacres, tu voudrais entendre de tes salons et de tes boudoirs la canonnade et le crépitement de la fusillade, tu voudrais que les camarades militants révolutionnaires ou réformistes fussent pris les armes à la main ou fusillés sur les barricades ; que les administrateurs des organisations ouvrières soient charriés et enchainés sur les pontons des navires à destination de la  Guyane ou d’un Gacou. L’exil, la prison, sont trop peu pour apaiser la soif de chat-tigre sauvage vainqueur par trahison, il faut redresser l’ échafaud; il veut boire, c’est du sang qu’il lui faut à Briand-Maupas. Les nobles, les rois ont eu leurs dates fatidiques : 21 janvier 1793, les septembrisades 1793, juillet 1830 et février 1848, 4 septembre 1870.

Le peuple n’a jamais ménagé son sang et cela t’a toujours servi de tremplin. Ton règne, société bourgeoise, tu l’accules par ta stupidité féroce, tu pousses à la libération du peuple qui souffre, tu précipites ta chute. Tu parles de Patrie et de chère France : cette France et cette Patrie que nous défrichons, nous n’y voulons plus voir des miséreux en haillons, nous ne voulons plus voir des malheureux manquant de tout alors que les magasins regorgent. Plus tigre que le tigre lui-même  qui laisse manger ses congénères une fois repus, toi, société bourgeoise, tu accapares tout pour que tes semblables soient privés du fruit de leurs travaux.

Certains hommes veulent bien condescendre à ce que les hommes soient des singes perfectionnés, tu crierais fort si l’on disait que les singes sont des hommes dégénérés ; chez l’homme au sentiment bourgeois, il y a autant de raisonnement que chez un pithécanthrope de Java un géophage de Patagonie.

Le verdict de Rouen nous a tracé la ligne de conduite à tenir. Tu voulais un coup de pouce initial pour mettre en branle les organisations syndicales ouvrières, tu as jeté le défi, il est accepté. Tu hurles aux chausses de la C.G.T., elle n’est pas seule, tu croyais diviser pour toujours régner.

Sans doute les évènements diront le reste.

Edouard BARRAT,

des Dockers