Jules Durand condamné à la décapitation le 25 novembre 1910

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Nous livrons à nos lecteurs/lectrices les articles parus dans l’hebdomadaire anarchiste « le libertaire » à propos de l’affaire Durand, en décembre 1910, suite à l’ignoble verdict de la Cour d’assises de Rouen, le 25 novembre 1910.

L’ignoble verdict

Certes, la besogne est toujours répugnante qui se perpètre aux tribunaux. Que la justice soit civile ou militaire, qu’elle sévisse contre les plus nobles révoltés ou les délinquants les plus vulgaires, les vindictes légales sont toujours odieuses, les lâches vindictes des profiteurs de l’ordre établi contre leurs ennemis vaincus et désarmés.

Il est des cas pourtant où la turpitude judiciaire éclate d’une manière si outrageante qu’elle nous oblige à crier plus violemment que jamais notre haine et notre dégoût, à nous ameuter contre les sentences abominables, afin de sauver les victimes en péril et de démasquer l’atroce institution.

L’ignoble verdict de Rouen soulève un de ces cas-là. Quatre ouvriers condamnés d’un seul coup, l’un à la guillotine, les autres au bagne, sur des racontars policiers absurdes, sur des témoignages suspects ; quatre travailleurs immolés par le jury à ses rancunes bourgeoises, aux vengeances du monde commercial et financier, d’une classe exaspérée d’avoir vu ces charbonniers se révolter contre la grande puissance capitaliste qu’est la Compagnie Transatlantique.

La mort du jaune Dongé a servi de prétexte à la condamnation de Durand, Mathieu, Couillandre et Lefrançois. Je ne suis pas de ceux qui se croient permis de flétrir la violence dans les mouvements ouvriers.

Quand ceux qui défendent leur salaire et leur pain emploient les moyens énergiques qu’ils jugent nécessaires contre les traîtres à la cause commune, ce n’est pas à nous de les blâmer.

Nous laisserons ce soin aux politiciens à la Jaurès, à ces bourgeois ignorants des duretés de la vie sociale, toujours amplement pourvus de sinécures. Ceux qui n’ont jamais connu ni la faim, ni la misère, ni l’exploitation, ceux-là peuvent s’étonner de l’âpreté apportée par les exploités dans la lutte.

Que Dongé ait provoqué les colères de ceux qu’il avait trahis, cela se comprend. Que menacés du revolver par le renégat, les rudes charbonniers aient eu la main lourde, cela s’excuse de gens en légitime défense.

Quoiqu’il en soit, les quatre condamnés ne furent responsables ni de la rixe, ni de ses conséquences. Rien, hors les dires de l’accusation, n’établit qu’ils y prirent la moindre part.

Ils ont été condamnés, parce que, sous un régime qui est le règne des renégats et le triomphe de la trahison, il faut à tout prix faire trembler les ennemis des traîtres, de haut et bas étage. Ils ont été condamnés pour avoir loyalement fait leur devoir dans la lutte ouvrière.

Ils ont été condamnés, parce que les bourgeois ont peur, depuis la grève des cheminots, parce qu’il leur faut absolument terroriser les esclaves des grandes Compagnies de transport pour éviter un retour aggravé de ces journées révolutionnaires.

Et maintenant, que feront les exploités, les opprimés pour leurs frères si atrocement frappés ?

Ah ! Je sais bien qu’on ne guillotinera pas Durand. Les jurés eux-mêmes et la presse bourgeoise ont reculé devant cette dernière infâmie.

Et puis après, les quatre charbonniers iront-ils donc crever au bagne ?

Laisserons-nous faire cela, alors que les fusilleurs du peuple se prélassent dans les sièges bien rentés du ministère et du Parlement ? Les laisserons-nous tranquillement envoyer vers les Guyanes meurtrières en écoutant les tirades contre la violence de l’éminent socialiste qui couvrit de ses votes toutes les fusillades de Waldeck-Rousseau et le sac combiste de la Bourse du Travail de Paris ?

Les condamnés de Rouen sont des nôtres : il faut les sauver !

Pétrus (Le Libertaire, 4 décembre 1910)

 

Ils sont quatre !

Nous rappelons que les ouvriers charbonniers frappés par l’ignoble verdict de Rouen sont au nombre de quatre. Si l’un d’eux- sous le coup d’une sentence capitale dont les plus abjects n’osent demander l’exécution- a plus spécialement droit à notre sympathie agissante, il ne s’ensuit pas que nous devons oublier les trois autres, atrocement condamnés au bagne, parce que grévistes.

Et si, dans leur triste prison, quelque bruit du dehors peut leur parvenir, ils ont droit à un réconfort autre que de se savoir traités de « brutes alcooliques » par une presse plus ou moins prolétarienne.

Le Libertaire, 18 décembre 1910

Dreyfus-Durand

Comme l’a dit Vérité, le journal de la Bourse du Travail du Havre, l’affaire Durand est une réédition de l’affaire Dreyfus, avec cette différence que les Francs-maçons et toute la presse bourgeoise, que les millions du capitaine intéressaient au moins autant que l’injustice dont Dreyfus était victime, s’abstiennent dans l’agitation qui suit le verdict de Rouen, laissant aux ouvriers seuls le soin de fournir l’effort que nécessitera la libération de notre camarade du Havre. N’en vaut-il pas mieux ainsi ?

Les anarchistes, les révolutionnaires, après avoir par leur action, arraché du bagne un militariste ; les gueux qui ont sauvé un millionnaire parce qu’en lui ils voyaient un innocent, n’en auront que plus de volonté, plus de courage, dans cette nouvelle affaire, devant la neutralité, l’oubli, l’ingratitude des gens pour lesquels ils déployèrent le drapeau rouge dans la rue. Il s’agit, non seulement d’arracher Durand à la mort, mais aussi d’empêcher qu’on envoie au bagne les trois autres malheureux, condamnés pour un acte de sabotage qui deviendrait chose courante dans un moment véritablement révolutionnaire.

Le prolétariat tout entier réclame la révision du jugement rendu contre ce secrétaire de syndicat, frappé comme auteur moral d’un acte auquel il est resté complètement étranger ; cette monstruosité juridique est sans précédent.

Les gouvernants, sous l’impulsion des maîtres du capital, voudront quand même une condamnation, afin d’atteindre l’esprit combatif des militants ; il sera sans doute nécessaire de pousser l’énergie de la protestation jusqu’à l’action pour faire reculer nos oppresseurs. A nous de ne pas faiblir !

A Dauthuille (Le Libertaire, 18 décembre 1910)

De l’assassinat à la révolte

Un vent de réaction sociale particulièrement violent souffle en ce moment sur la France. Des attentats sont dirigés de façon permanente contre la classe ouvrière par une bourgeoisie affolée et qui, pour se défendre, n’hésite pas à recourir aux moyens extrêmes. Les condamnations pleuvent drû sur les militants, et il suffit que les ouvriers qui se présentent devant un tribunal soient syndiqués, pour que les juges fassent tomber sur eux les condamnations les plus odieuses et les plus saugrenues. Il suffit que ces ouvriers soient grévistes, pour que le juge fasse fi des garanties les plus essentielles et frappe pêle-mêle innocents ou coupables.

La Fédération du Bâtiment, dans une affiche récente, constate que 60 années de prison ont été distribuées à ses membres. Nous avons vu, il y a quelque temps, appliquer l’interdiction de séjour pour faits de grève ; sans l’attitude énergique du syndicat des Terrassiers elle serait aujourd’hui appliquée systématiquement. Elle a fait sa réapparition sur plusieurs points où les moyens de défense employés à Paris étaient d’une application impossible. Ajoutez à cela les projets de loi que l’on prête à Briand, projets qui ne tendent à rien moins qu’à museler les fonctionnaires et à en faire de véritables esclaves, et on aura une bien faible idée de ce qui se prépare dans certains milieux contre le syndicalisme.

Briand, que l’on tolère parce qu’il se présente comme le sauveur de l’ordre, entretient avec adresse cet état d’esprit. La presse – la grande et l’autre ! –  le secondent admirablement et donnent avec un ensemble parfait la même note. Les condamnations les plus odieuses sont saluées de cris de joie, les juges les plus plats et les plus infâmes sont chaudement félicités. Par contre, si un acquittement échappe de loin en loin à nos jugeurs, ils sont salués par des imprécations et des menaces.

Avez-vous constaté le silence presque unanime fait autour des arrestations des militants des chemins de fer, de journalistes comme Almereyda, Merle et Dulac, détenus en prison pendant plus d’un mois sans qu’il leur soit seulement dit en vertu de quoi ils sont détenus ? Si oui, vous avez pu juger du degré d’indépendance vis-à-vis du pouvoir, de la Magistrature et de la Presse.

Ces diverses constatations, cet ensemble de faits nous aident à comprendre la condamnation de Durand, hier militant obscur, devenu aujourd’hui un symbole, le symbole d’une classe meurtrie et hors la loi.

Cette sentence qui a surpris beaucoup de nos amis est naturelle, logique, car elle est l’apogée de tout un système dont nous n’avions vu que des applications incomplètes.

Il fallait en arriver là, et il me plaît d’y voir autre chose qu’une surprise pour le gouvernement et la bourgeoisie. Cette condamnation était, à mon avis, longuement préméditée par Briand qui a fait marcher la presse sur un mot d’ordre identique. Toute la campagne menée depuis quelque temps dans la France entière, tend à transporter les responsabilités les plus graves sur ceux que l’on appelle les meneurs et, dans l’affaire du Havre, cette tactique a été suivie dès le premier jour ; tous les journaux ont donné d’une même voix : « Frappons à la tête et frappons le plus fortement possible. »

Cette condamnation fut voulue aussi par le haut patronat. N’oublions pas que l’affaire a été conduite par un représentant officiel de la puissante Compagnie Transatlantique. C’est lui qui a inspiré le juge d’instruction, rédigé le réquisitoire de l’Avocat Général ; c’est lui dans tous les cas qui a recherché, sollicité les témoignages abracadabrants qui ont amené l’ignominieux verdict : témoignages sans doute bien rétribués.

Au Havre, comme à Paris, le haut patronat se découvre ; il n’agit plus seulement par personnes interposées, par ses délégués au Parlement, il prend place dans le combat social, au risque de recevoir des coups. C’est là, à mon sens, le fait le plus intéressant de la lutte moderne.

La bourgeoisie ne veut plus rester passive, il lui tarde de se manifester, de porter des coups, d’essayer sa force, sa puissance : oui, mais sur qui taper ? Sur les ouvriers sans doute, mais encore : taper dans le tas ? Sur ceux que ces aristocrates de la finance considèrent comme des ilôtes? Non pas, certes, mais sur les meneurs, sans lesquels, disent-ils, la masse des travailleurs serait incapable d’agir sainement, avec esprit de suite et de se révolter.

Ce verdict a pu apeurer les petits bourgeois de Rouen, auteurs inconscients de la formule de condamnation, mais il était voulu et préparé en conséquence par gouvernants et bourgeois.

C’est le champ de bataille choisi par l’adversaire qui veut tâter le degré de résistance de la classe ouvrière, et la force qui réside en ses organismes de combat. Ne nous en plaignons pas ; le terrain est pour nous on ne peut plus favorable. La bourgeoisie ne pouvait frapper davantage l’imagination du prolétariat qu’en lui montrant sa justice fonctionnant contre lui, dans des conditions aussi répugnantes et criminelles. Pas de plate-forme plus favorable que celle qui consiste à sauver un innocent qui symbolise merveilleusement tout ce qu’il y a de bon et de beau dans la classe ouvrière en marche vers la délivrance.

Puisqu’il vous a plu de donner le signal du combat, nous répondons : présents.

Pierre Dumas (Le Libertaire, 18 décembre 1910)

 

Pour ceux de Rouen

Il faut les libérer

Ce n’est pas seulement à la mort ou au bagne que nous devons arracher Durand, c’est également à la prison ; il faut qu’il soit libéré.

Quoique toute la presse bourgeoise convienne que le secrétaire des charbonniers du Havre ne doit pas être exécuté, notre camarade n’en est pas moins enfermé dans la cellule des condamnés à mort et traité comme tel.

Que l’on ne s’y trompe pas : le gouvernement ne cèdera pas aux simples menaces de grève générale. Briand connaît l’organisation ouvrière ; il n’est pas homme à reculer devant une protestation platonique. Il a lancé un défi à la classe exploitée ; il veut par un grand coup enrayer le mouvement d’émancipation du prolétariat ; en faisant condamner Durand à mort il a voulu jeter le désarroi parmi les militants révolutionnaires. Briand ira jusqu’au bout. De même qu’en Espagne les cléricaux ont frappé dans la personne de notre regretté camarade Ferrer l’apôtre d’une société d’harmonie et de liberté, le grand éducateur libertaire, de même les capitalistes se préparent à frapper en Durand le syndicaliste éducateur.

En effet, Durand avait compris que son premier devoir était d’enrayer le mal qui rongeait ses malheureux camarades : l’alcoolisme ; tous les efforts de ce militant se portèrent contre ce fléau. Mais si, en Espagne, on a pu fusiller dans le fossé de Montjuich en compagnie de Ferrer un grand nombre d’autres révolutionnaires, en France, il faut que nous ayons assez d’énergie et de force, non seulement pour sauver la vie de l’un des nôtres, mais aussi pour arracher sa liberté à ses persécuteurs.

Mais si Durand, par le fait qu’il est condamné à mort, intéresse davantage l’opinion publique, nous ne devons pas oublier qu’il y a avec lui trois autres inculpés et condamnés au bagne, Lefrançois, Couillandre et Mathieu.

Que les vrais coupables de la mort de Dongé sont les exploiteurs capitalistes ; qu’il est donc de notre devoir de sauver non seulement Durand, mais aussi les trois autres, dussions-nous pour cela avoir recours à la révolte.

  1. Dauthuille (Le Libertaire, 25 décembre 1910)

 

Bravo ! La C.G.T.

Nous avons trop d’occasions de critiquer les syndicalistes pour ne pas nous empresser de souligner les excellentes décisions prises récemment par le Comité Confédéral.

La première appelle les syndiqués à la grève générale si l’ignoble verdict de Rouen n’est pas rapporté.

La seconde – une initiative que nous espérons voir imiter par tous les groupements ouvriers- proteste de la sympathie du prolétariat de France pour Kotoku, l’ancien correspondant de la Voix du Peuple, et les vingt-cinq autres vaillants menacés de mort par le gouvernement mikadonal.

Deux belles manifestations de solidarité révolutionnaire.

Vilenies guesdistes

Au guesdiste « Socialisme » on recommence à employer les plus beaux procédés du temps de Villeneuve-Saint-Georges.

Tandis que les uns s’efforcent à discréditer la menace de grève générale jetée par la C.G.T. pour sauver les condamnés de Rouen, d’autres bavent sur les militants anarchisants et révolutionnaires.

C’est bien le moment, quand les principaux rédacteurs de la Guerre Sociale sont en prison, quand le gérant du Libertaire, poursuivi pour les articles publiés pendant la grève, subit l’ignoble droit commun, et que les meilleurs des cheminots partagent le même sort.

Guesde peut être fier de ses disciples !

(Le Libertaire, 25 décembre 1910)

 

Après Durand, Torton

Décidément, la Seine-Inférieure marche bien.

Au Havre, accusé de complicité morale, Durand, secrétaire du Syndicat des charbonniers, est condamné à mort par un jury de bourgeois imbéciles.

Quelles preuves avait-on contre ce militant ? Aucune, même pas un témoignage de la police havraise : il a fallu que la Compagnie transatlantique achetât la conscience de quelques pauvres malheureux pour que vinssent à la barre de bafouilleurs témoins à charge.

A la Bourse du Travail de Rouen, était comme secrétaire un militant franchement révolutionnaire, qui, en maintes occasions, avait dit hautement ce qu’il pensait des politiciens au pouvoir.

Ce militant, c’était Torton.

Ainsi qu’il en est malheureusement dans beaucoup de villes, la Bourse du Travail est subventionnée par la municipalité. Or M. Leblond, maire, avait mis en demeure l’Union des Syndicats de mettre à la porte son secrétaire, le camarade Torton.

Les syndicats ne voulant pas céder à l’injonction du maire et ce dernier tenant absolument à ce que Torton disparaisse, on essaie à l’heure actuelle de le rendre responsable d’excitation à la désertion.

Un soldat, Burgat, rencontré dans un jardin public de Rouen par un inconnu, aurait été amené à la Bourse et là, on lui aurait conseillé de déserter. Les camarades à la jeunesse syndicaliste et quelques terrassiers lui auraient fourni la somme nécessaire pour son voyage.

Bientôt Burgat, regrettant son acte de désertion, se constitue prisonnier et déclare que c’est sur les conseils de différents militants de la Bourse, et en particulier du secrétaire, qu’il a agi.

Comme bien on pense, l’occasion est bonne pour se débarrasser de Torton, et le voilà illico inculpé dans cette histoire.

Amené devant le juge d’instruction et sachant d’avance le sort qui lui serait réservé, Torton s’est empressé de mettre entre la police et lui une frontière. La magistrature, devant la fuite de sa proie, fait maintenant retomber sa colère sur un jeune homme de dix-sept ans, Damberville. Chose scandaleuse, c’est la mère de ce jeune homme dont on a voulu faire l’accusatrice de son fils.

Voici comment :

Le chef de la sûreté de Rouen fait pénétrer l’inconscient soldat Burgat dans l’appartement de la mère de Damberville, tandis que lui se cache dans l’escalier.

En entrant, Burgat demande à Mme Danberville si elle le reconnaît et si elle peut lui procurer les brochures antimilitaristes de son fils.

La brave femme, ne se doutant de rien, dit se souvenir, en effet, l’avoir vu à sa table avec son fils ; quant aux brochures, elle déclare n’en pas connaître l’existence chez elle.

Aussitôt Mathieu pénètre à son tour et annonce à la pauvre vieille qu’elle vient de fournir la preuve que son enfant a connu le soldat Burgat et que Damberville va être arrêté comme antimilitariste.

Il faut renoncer à qualifier de tels procédés. Ils sont dignes de nos gouvernants et du régime républicain que nous subissons.

Un Rouennais – (Le Libertaire, 25 décembre 1910)

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