JULES DURAND : AFFAIRE QUINOT

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En pleine grève des ouvriers charbonniers au Havre, le 9 septembre 1910, en soirée, une bagarre d’ivrognes sur le port se termine par la mort de Louis Dongé ,un chef de bordée non-gréviste.

Les journaux réactionnaires comme « Le Temps », « Le Matin », «  Les Débats »… sur le plan national, « Le Havre-Eclair » et « Le Petit Havre » sur le plan local font grand bruit autour du décès de Dongé au travers de récits tendancieux basés sur des enquêtes sommaires et partiales.

Les journalistes aux ordres essaient de transformer un incident regrettable survenu au cours d’une rixe entre ivrognes en une exécution concertée en imputant donc la responsabilité de cette mort à des militants ouvriers. On sent s’organiser une campagne anti-ouvrière afin de durcir la législation en vigueur en une législation encore plus oppressive contre ceux qui refusent l’exploitation capitaliste. La chasse aux militants syndicalistes est ouverte en orchestrant une campagne sur le thème d’un assassinat syndical…

La bagarre

Le vendredi 9 septembre, vers neuf heures du soir, Dongé rencontre sur le quai d’Orléans des ouvriers charbonniers en grève : Couillandre, Mathien, Lefrançois, un quatrième individu et leur propose de prendre un verre au bistrot.

Un refus catégorique lui est alors opposé ; Dongé se met en colère et sort un révolver en menaçant ses interlocuteurs. La situation dégénère rapidement entre les protagonistes de cette dispute, toutes ces personnes étant sous l’emprise de l’alcool. Dongé est désarmé, frappé à coups de pieds et ses agresseurs le laissent sur place  sans connaissance. Transporté le soir même à l’hôpital, il y succombe le lendemain.

Les participants à cette rixe sont arrêtés peu après mais leur état d’ivresse est tel qu’ils ne peuvent être interrogés par le chef de la sûreté.

Parallèlement le parquet décide d’autres arrestations, celles des responsables du syndicat des charbonniers : Durand et les frères Boyer alors que ceux-ci n’avaient nullement participé à la rixe.

C’est ainsi que débute le long calvaire de Jules Durand. Son histoire fait encore partie de la mémoire collective havraise aujourd’hui.

 


L’Affaire Quinot : un forfait judiciaire

Pour écrire ce grand roman populaire qu’est « L’Affaire Quinot », Emile Danoën s’est inspiré de la vie de Jules Durand, anarchiste et secrétaire du syndicat des charbonniers au Havre en juillet 1910. Danoën retrace dans ce roman les principales étapes d’une odieuse machination qui s’inscrit dans le contexte d’une farouche répression du mouvement syndical. Une simple rixe entre ivrognes se soldant par la mort d’un chef de bordée « jaune » se transforme en un « crime syndical » avec préméditation…L’auteur nous délivre le meilleur roman historique jamais écrit sur « L’Affaire Durand ». Mais ce qui fait la grandeur de ce livre, outre la véracité des faits relatés, c’est le style de l’écrivain tout emprunt de cette sève ouvrière aux accents des travailleurs portuaires. Il y a dans ce récit émouvant et authentique la faconde des dockers, la pugnacité des militants contre l’injustice mais aussi de la désillusion et de la révolte.

Ce roman bien construit se compose de quatre parties et d’un épilogue.

L’Homme aux biens fonds

Dans cette première partie du roman, Emile Danoën nous initie aux arcanes de la justice et il n’est pas tendre envers les magistrats.

La question qui se pose aux jurés est la suivante : Est-il constant qu’un homicide volontaire a été commis sur la personne de Mélin (Dongé) ? suivie de deux questions subsidiaires comportant des circonstances aggravantes : Le-dit homicide volontaire a-t-il été commis avec préméditation ? première circonstance aggravante ; et seconde circonstance : Le-dit homicide volontaire a-t-il été commis avec guet-apens ?

Le terme « volontaire » conditionnait bien des choses. Les jurés optant pour le caractère volontaire de l’homicide, les accusés risquaient leur tête !

Danoën nous livre avec humour quelques portraits de jurés dont l’un est « doué de cet esprit gaulois qui rend plaisants tant d’imbéciles ». Sévère aussi  avec cette presse servile qui parle de « défense de la civilisation contre la barbarie montante…et que derrière ces pauvres brutes alcooliques, il y avait l’hydre de l’anarchie peut être actionnée par la main de l’Allemagne… »

Et ces jurés, plus enclins à une réflexion simpliste, qui s’attendrissent sur le sort de « ces chefs d’entreprise qui demeurent désarmés et à la merci des anarchistes comme ce Quinot (Durand). »

Ils considèrent les grévistes comme des enfants qui font des bêtises et qui joueraient avec des allumettes au-dessus d’une poudrière…en risquant de « remettre en cause toute la civilisation » alors que les dockers-charbonniers du Havre sont les mieux payés de tous les ports de France…

Et puis il fallait faire payer à ce Quinot (Jules Durand) son entêtement à se dresser en ennemi de la société qui attaque l’ordre et la morale, « toujours rebelle à ses patrons et à ses chefs ».

Quinot qui savait lire et écrire, fréquentait les cours du soir pour parfaire sa formation. N’avait-il pas adhéré à la CGT en 1902 ? N’avait-il pas lu de nombreux ouvrages subversifs ? Ce révolté permanent, ne le trouvait-on pas à la tête de tous les cortèges révolutionnaires ? « N’allait-il pas jusqu’à réclamer l’installation de douches chaudes sur les quais pour que les charbonniers puissent se laver après leur travail et plus fort encore, la création aux frais des employeurs, bien entendu, d’universités de prolétaires pour faire reculer l’ignorance. » !

On connaît la sentence qui frappa ce pauvre Quinot et malgré la défense de Maître Petit (René Coty) pour lequel il sautait aux yeux que « la peine qui frappe ce pauvre diable est sans commune mesure avec ce qui s’est passé », la cour statua : « attendu que le jury a déclaré Quinot coupable d’avoir provoqué Marsouin, Bléau et Viey à donner la mort au sieur Mélin, faisant application des articles 295,296,302,304,59,463,12, et 26 du code pénal, la cour, après en avoir délibéré, condamne Quinot à la peine de mort, dit que l’exécution de Quinot aura lieu sur l’une des places publiques de la ville. »

Le chef du jury eut beau intervenir en disant que les juges leur avaient tendu un piège, un véritable traquenard, rien n’y fit et les juges furent satisfaits de la peine infligée.

 

La mort du renard

 

La deuxième partie du roman nous décrit les charbonniers comme de pauvres hères, des loqueteux, des vagabonds inorganisés qui hantent le port.

On sent poindre une admiration de Danoën pour Jeannoutot (Camille Gerooms), le secrétaire de l’Union des Syndicats du Havre (USH) qui assène quelques vérités : « Un homme qui n’est pas capable de faire le sacrifice d’une cotisation pour son syndicat, ne fera jamais un bon syndicaliste. »

« Dans un syndicat, toute action devait être discutée par tous les travailleurs et mise aux voix et non procéder de la volonté de quelques meneurs ». Danoën précise ainsi sa pensée sur la pratique syndicale qu’il aimerait voir appliquée.

Chroniqueur de la misère ouvrière des charbonniers, Danoën en

tire l’ axiome que la démoralisation croît avec la saleté et réciproquement.

 

Pour Durand, la révolution amènera plus de justice sur la terre…mais en attendant le « fourneau économique devait tripler sa production de soupes chaudes et des dizaines d’hommes qui gardaient encore un domicile fixe furent dans l’obligation d’y renoncer faute d’argent pour payer leur loyer. Ils venaient rejoindre les centaines de camarades qui couchaient déjà à la belle étoile ou élisaient domicile dans les wagons vides, certains avec la femme et les enfants. »

L’auteur de ce roman se place résolument du côté des ouvriers pour lesquels il n’est pas sans tendresse. Dans un dialogue entre Louisa (Julia) et Louis (Jules), il affirme sa préférence de classe pour la France qui se lève tôt : « – C’est le matin, déjà ? dit-elle ?

–          Dors, murmura-t-il en l’embrassant, dors…

–          Oui, qu’elle dorme, la douce merveille, qu’elle ne s’éveille pas avant l’heure des riches. La grasse matinée. Le comble de la félicité pour ceux qui triment toute leur vie dès le petit matin. »

Il connaît bien le vocabulaire des carabots, ces ouvriers du port qui partent « avec la bougette sur le dos », et la vie dans les hangars et les docks…et poète à ses heures en faisant un clin d’oeil à Prévert :  « Aller s’enfermer au fond d’une cale à pelleter du charbon par un si beau soleil ? C’est pas de la vacherie ? »

Il aborde sans complaisance l’alcoolisme, les jaunes, la délation même dans le milieu ouvrier et les conditions de travail des charbonniers qui  respirent « de la poussière asphyxiante qu’on sentait pénétrer comme sous pression jusqu’au fond de la poitrine. »

Sans concession avec « ces curetons, ces évêques qui essaient de faire venir les mousses dans leurs cabines en leur donnant des sous. »

La différence entre classes sociales se traduit visuellement dans ce roman  par une opposition entre le clair et l’obscur, les robes blanches des dames de la « haute » et les costumes beiges des bourgeois contre la noirceur des charbonniers.

 

Et quand les riches arrivent de Paris par le train des Transatlantiques, c’est une cohue de panamas, d’ombrelles, de grands chapeaux à plumes et de voiles de dentelle qui débarque en gare du Havre .Les mêmes qui « jetaient un regard de dégoût sur ces hommes sales », ces charbonniers en grève et qui allaient certainement retarder le départ de leur paquebot sans se rendre compte que sans les soutiers et les charbonniers aucun navire ne pourrait quitter le port.

Danoën a puisé ses sources dans les archives mais surtout dans les articles de journaux de l’époque : Vérités (journal de l’USH), Le Progrès (d’Hanriot, socialiste allemaniste avant 1905) et L’Humanité, le journal de Jean Jaurès.

Dans son récit, il révèle les errements de certains écrits socialistes de l’époque.

Dans le Socialo (Le Progrès), le journal présentait la situation en ces termes :

« Nous allons aider cette malheureuse catégorie d’ouvriers à sortir de leur misère. La tâche sera bien pénible, impossible oserions-nous dire, en raison de la mentalité. Cependant il nous faut tenter de les relever de la situation dans laquelle la société bourgeoise les a précipités avec le concours de l’alcool. Allons, charbonniers ! du cœur et du courage, et surtout de la bonne volonté et de la camaraderie. »

Danoën, né à Moëlan-sur-Mer, est sensible à tout ce qui touche à la Bretagne. Ici, il montre comment le patronat embauche des Bretons qui ne savent ni lire ni écrire ni même parler français pour servir de briseurs de grève sur le port.

Pourtant malgré toutes les injustices, toutes les brimades subies, Durand préconise la non violence contre les renards (encore appelés jaunes ou renégats) parce que « Le sang des jaunes est aussi rouge que le nôtre ».  Et «  le pire ennemi des grévistes, c’est pas le jaune, c’est la violence. »

L’alcoolisme n’est pas éludé, l’écrivain nous ramène à l’ère des mominettes (absinthes). Et quand Dongé est quasiment  ivre mort, un patron de bar qui veut le faire déguerpir au plus vite lui fait boire de l’ammoniaque pour qu’il reprenne ses esprits. Sa femme ne veut pas le brûler mais le bistrotier réplique : « Le brûler, il a le gosier en brique réfractaire, ça ne risque rien ! »

Effectivement, ce ne fut pas de l’ammoniaque qu’il mourut mais d’une « tosse » qui tourna mal.

 

De l’échafaud au cabanon

 

Les journaux réactionnaires comme Le Temps ne trouvaient pas monstrueux le verdict prononcé à l’encontre de Durand : « on peut espérer que cette sévère leçon sera comprise des ouvriers. »

Danoën connaît bien  l’histoire locale et sait qu’en 1910, l’Union des Syndicats du Havre ne peut s’offrir qu’un seul permanent appointé pour 10 000 syndiqués.

Il a aussi lu L’Humanité et n’est pas tendre avec Jaurès qui n’entrevoyait dans cette affaire « qu’un triste mélange de parti pris haineux et de malentendus sinistres » et appelait la classe ouvrière à veiller « à ce que ni les violences sauvages ni les brutalités grossières ne déshonorent son grand et noble combat. »

Par l’intermédiaire du secrétaire du syndicat des dockers, un anarchiste convaincu, il lui faire dire « Tu prends Jaurès pour un ouvrier ? » et Geeroms de répondre que s’il n’attendait pas le salut de la politique ni des politiciens, la réaction de Jaurès lui paraissait cependant affligeante et d’indiquer que les syndicalistes avaient manqué de clairvoyance « tout ça parce qu’on a pris l’habitude de considérer avec fatalisme que d’aller en prison, ça fait partie des inconvénients normaux et inévitables de l’existence de militants syndicalistes. »

Dans cette partie, l’auteur nous décrit la mobilisation des ouvriers pour sauver Quinot/Durand, les affiches tirées et collées, les meetings massifs à la Bourse du Travail, la dénonciation de la parodie du procès et comment le juge d’instruction et le procureur de la République s’étaient mis au service des responsables des grandes compagnies…

Il indique par ailleurs le rôle déterminant joué par Paul Meunier, député radical-socialiste pour dénoncer l’erreur judiciaire,  «  une erreur judiciaire calculée », et les faux témoins…

Danoën souligne la situation dans laquelle se trouve Camille Geeroms « En transformant l’échec de la grève en fait divers sanglant, le meurtre de Dongé(Mélin) jetait en pâture à la bêtise publique du feuilleton vécu sur la haine rouge, la sauvagerie anarchiste, le banditisme syndical. »

Petit à petit, nous voyons Durand sombrer dans la folie : « Il s’arme de son escabeau, il commence à tout casser autour de lui, sa table, son lit, les vitres, tout… ». Le pauvre Durand ne s’alimente plus, on lui met la camisole de force…et le gardien-chef dans une tirade de psychologue de comptoir fait la leçon au père de Durand : « Puisque votre fils était pour le communisme, c’était forcément un surexcité permanent comme tous les révoltés. Ces hommes-là, il suffit de trois fois rien pour les rendre furieux, c’est connu. Vous n’avez qu’à ne pas dire comme eux, ils voudraient tout de suite chambarder le monde. C’est comme ça que les révolutions éclatent. Des demi-fous. Il y aura toujours des grands et des petits, des riches et des pauvres, rien que de croire le contraire ça montre qu’on n’a pas toute sa tête. »

Durand en si bonne compagnie devient méconnaissable, ce n’est plus un homme, « c’est un grand sac de forte toile attaché par des sangles sur un lit scellé au mur. »

Pour obtenir la grâce de Durand, Paul Meunier a ses arguments devant le Président Fallières : « Si cet homme devient fou, l’opprobre en retombera non seulement sur le

cabinet , non seulement sur le gouvernement, mais sur les institutions tout entières, sur la justice principalement. »

Danoën, poète, nous cite un poème de Maurice Bouchor paru dans le quotidien « L’Humanité » et demandant la libération de Durand.

Il dénonce la machine judiciaire qui favorise ceux qui peuvent payer et faire assigner tous les témoins qu’ils veulent a contrario de ceux qui sont sans ressources : c’est l’iniquité de la justice de classes dans toute sa splendeur.

Et la question que tous les gens sensés se posaient était la suivante : « Ce n’est pas Quinot qui a tué Mélin (Dongé). Nous déplorons tous profondément la mort de ce malheureux, mais est-ce parce que Mélin est mort qu’il faut garder en prison l’homme qui ne l’a pas tué ? »

Un morceau d’anthologie antiparlementaire nous est aussi donné par un individu peu recommandable mais qui analyse crûment la chambre des députés : « C’est le cirque, ici, jeune homme ? Avec des bêtes fauves, des renards savants, des acrobates, et des clowns, ah ! ah ! Evidemment, les numéros sont truqués, mais les clowns sont bons. »

Une fine analyse nous montre que les responsables syndicaux sont plus enclins à la défense des travailleurs qu’à la protection des militants et que « ce sont les bourgeois qui se représentent le monde ouvrier uni et marchant comme un seul homme derrière les révolutionnaires… » alors que ceci n’est pas tout à fait exact.

Durand sorti de prison était comme les convalescents « revenus des bornes de la mort ».

Danoën nous replonge dans les combats ouvriers contre la vie chère et les campagnes syndicales contre les projets gouvernementaux de retraites ouvrières (déjà) qui prétendaient imposer aux ouvriers un prélèvement sur les salaires afin de financer les entreprises…

Il nous apprend que Durand avait été réformé pour le cœur au service militaire puis nous associe au dilemme des parents de Jules Durand contraints de faire enfermer leur fils unique à l’asile départementale des Quatre mares (Rougemare ) : « Enfermer Louis (Jules), c’est se trancher un morceau dans la chair ».

Il nous fait partager son émotion et sa révolte devant le calvaire des parents et amis de Jules Durand. « Du propre, leur justice ! » commente le père de Durand.

 

Qui simule quoi ?

 

« Ce n’est pas défendre l’ordre que de retenir certains faits de préférence à d’autres parce que ceux-ci risquent de compromettre des notables. »

Ces notables qui ne veulent pas côtoyer cette populace ouvrière, ces militants syndicalistes comparés à un ramassis de brutes avinées…et pourtant le seul tort de Durand n’a-t-il pas été d’attendre trop de la nature humaine ? « Son syndicalisme se préoccupait romantiquement de campagnes d’éducation ouvrière basée sur des universités populaires, des bourses du travail, et bien sûr tout le fatras de la propagande anticléricale, antimilitariste et antiparlementaire, mais aussi la lutte contre l’avarie et l’alcoolisme, l’action pour une procréation consciente et limitée, bref une philosophie à peu près complète de l’existence. » Voilà en réalité ce qui lui était reproché : sa propension à rechercher l’égalité économique et sociale pour tous et le bien être et la liberté pour chacun.

Et pour semer le trouble dans l’opinion, une enquête complémentaire fut ordonnée pour étudier « la possibilité que ce Quinot ait donné des signes de dérangement cérébral dès avant la grève… ». Une certaine simulation, une hystérie…Mais la médecine ne veut pas se faire complice d’un tel diagnostic : « Le choc suffit…Imaginez ce que peut représenter une condamnation à mort pour un innocent aussi épris de justice que l’était Quinot . »

Aucune simulation donc. « Quinot était atteint de confusion mentale avec idées mystiques et alternatives d’agitation et de calme. » Sa santé mentale décline peu à peu et ce de manière irréversible.

A Sainte Anne où il fut observé aussi, Quinot avait des signes « d’obnubilation, d’hébétude, de désorientation… » Il avait été admis en état d’apathie intellectuelle grave compliquée d’une conjonctivite liée à des troubles visuels d’origine nerveuse…

Comment aurait-il pu simuler la folie ? Pour continuer ce calvaire ?

Une sourde révolte grondait dans le milieu ouvrier havrais.

Epilogue

Pour garder une certaine cohérence narrative Emile Danoën permet à Jeannoutot (Geeroms) d’assurer la continuité syndicale après la grande boucherie de 1914-1918, « cette guerre qui accumula les pires crimes contre l’humanité ».

Le pacifisme et l’antimilitarisme de l’auteur rejaillissent ici.

En réalité Geeroms cessera de militer en 1913, écoeuré par de détestables calomnies à son encontre.

C’est donc  Jean Le Gall au titre de la CGTU havraise qui assure en réalité l’organisation des obsèques de Durand, quelques mois avant de devenir secrétaire des syndicats autonomes au Havre, l’organisation syndicale la plus puissante dans l’entre deux guerres, Le Havre devenant le centre de l’autonomie en France.

Danoën prend aussi quelques libertés quand il parle de l’inauguration d’un petit mausolée. Celui-ci fut inauguré plus tard en 1931 et non en février 1926 lors de la mort de Durand.

Par contre, s’appuyant sur un numéro de « L’Humanité » de 1926, devenu entre temps le quotidien du Parti Communiste, le romancier nous décrit les funérailles de Durand : « Plus de cinq mille personnes accompagnaient ou saluaient le cercueil quand il commença à gravir les rues abruptes du cimetière. »

Il fallait donc que l’émotion soulevée au début de l’hiver 1910 par l’inconcevable verdict fût restée vivace au sein de la population havraise malgré les millions de deuils d’une guerre bien faite pour reléguer dans l’oubli le cas d’un seul martyr syndicaliste.

La seule réhabilitation réelle de Durand fut celle d’avoir donner son nom à un boulevard du Havre.

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Tant que nous prononcerons son nom et raconterons cette odieuse machination, nos martyrs syndicalistes ne mourront jamais.

L’Affaire Quinot est un roman accessible à tous, original, il dépeint brillamment un forfait judiciaire orchestré par les puissants de l’époque. Cette histoire restera  ancrée dans la mémoire ouvrière.

A lire absolument.

Patrice Rannou