Jean-Claude Michéa: un anarchiste conservateur ?

Eglise anglicance - Copie

L’extrême droite est-elle en train de gagner la bataille des idées ?

A en croire les médias ayant pignon sur rue, l’extrême droite influence comme jamais la droite traditionnelle et l’opinion publique. Avec la sortie du livre de Jean-Claude Michéa, les langues se délient et le confusionnisme règne  à tous les étages.

Que Michéa, cet ancien membre du Parti Communiste après avoir été gauchiste, se déclare dorénavant anarchiste conservateur, a de quoi nous interpeller et il serait intéressant de voir ce que la partie émergée de l’iceberg cache.

Tout d’abord « anarchisme conservateur » est un non-sens car comme l’indique le bandeau de notre journal « le libertaire », les anarchistes veulent instaurer un milieu social assurant à chaque individu le maximum de bien-être et de liberté adéquat à chaque époque, ce qui implique non pas la conservation en l’état d’idées et pratiques figées mais leur évolution. Les tracts des libertaires ne sont plus tirés à la Pierre humide depuis bien longtemps par exemple comme quoi le progrès peut avoir du bon.

Michéa induit ses lecteurs en erreur quand il indique que l’économie de marché est solidaire de la libération des mœurs. S’il a raison de flageller la gauche qui est indifférente au sort de la classe ouvrière, il oublie de préciser qu’il existe plusieurs classes ouvrières, c’est pourquoi Proudhon parlait « De la capacité des classes ouvrières ». Il a raison de même quand il affirme que tous les travaux anciens et récents qu’il a lus sur les communautés villageoises lui enseignent que c’est l’entraide qui l’emporte sur la rivalité. Mais dans ce cas présent il ne fait que reprendre l’argumentaire de Kropotkine dans « L’Entraide » et dans « L’Etat – Son rôle historique». Concernant l’entraide par opposition à la compétitivité, les neurobiologistes ont confirmé et validé l’hypothèse de la supériorité de l’entraide notamment quand l’homme a pu survivre à l’origine dans un milieu hostile. Pour davantage de précisions, lire les livres de Jean-Didier Vincent ou Laborit.

De ce côté rien de nouveau pour les libertaires.

Là où nous ne sommes plus d’accord, c’est quand il critique à tout va le progrès, la libération des mœurs… De même, indiquer que la gauche et la droite d’aujourd’hui qu’il qualifie de « bloc libéral » sont les deux faces d’une même pièce, quoi de plus naturel mais vouloir gommer les différences entre les deux nous apparaît dangereux. S’il est vrai qu’Hollande, Valls et consorts sont plus libéraux que socialistes, nous n’oublions pas que les anarchistes appartiennent à une branche du socialisme des origines et à la gauche libertaire contemporaine. Nous pilonnons de tout temps et sans relâche la gauche de gouvernement pour ne pas être taxé de complicité morale avec les faussaires du socialisme. Mais les ennemis de nos ennemis ne sont pas forcément nos amis, loin de là.

Insinuer qu’il y a une alliance entre l’idéologie des militants pro-réfugiés No Border et celle, libérale et managériale, des « insiders », c’est dénigrer tout le travail de solidarité de tout un pan du militantisme humaniste et combatif. Michéa s’engage dans une voix réactionnaire et risque fort d’être emporté et récupéré par une frange d’extrême droite, à moins que ce ne soit sa volonté, auquel cas, il ferait bien d’être plus précis et moins hypocrite.

La Manif pour tous  est passée par là : remise en cause du droit à l’avortement et refus du mariage homosexuel, identité renforcée sont le triptyque de cette nouvelle mobilisation de masse. De quoi assurer un lectorat à Jean-Claude Michéa. Il serait d’ailleurs intéressant de creuser d’étudier l’influence des personnes formées par la congrégation Saint Pie X à Saint-Cloud et voir leurs relations actuelles et leurs réseaux. A ne pas oublier que l’institution dominicaine du Saint Esprit a été fondée par l’Abbé Berto, royaliste notoire, et dont l’une de ses ramifications se trouve au château de Pont- Calleck dans le Morbihan…Combien de jeunes filles de bonnes familles ont-elles été formées dans ces lieux chers à feu Monseigneur Lefebvre… Combien de membres de la famille Le Pen sont passées par Saint-Cloud ? Combien de membres dirigeantes de la Manif pour tous ont suivi leurs études à Saint-Cloud ? Une école très privée à formation intellectuelle très prisée de la noblesse et de la bourgeoisie cléricale. Il est certain que pour ces jeunes  ayant étudié dans les antres de l’intégrisme, les partisans de l’avortement et du mariage pour tous font figures de diables rouges.

A  écouter Michéa, la libération des mœurs est consubstantielle de l’économie de marché qui serait son allié objectif.

Tout d’abord, l’économie de marché n’est pas nouvelle et il a fallu bien des combats et une évolution des mentalités pour que l’avortement et le mariage pour tous, plus récemment, ne s’impose. Et encore, rien n’est gagné et il faudra encore se battre pour sauvegarder ces droits même si nous ne sommes pas fans du mariage. Mais nous partons du principe qu’un même droit doit être accordé à tous et toutes.

Puisque Jean-Claude Michéa est un fin lecteur, nous lui conseillons la lecture « Epopée d’une anarchiste-Emma Goldman ». Cette militante anarchiste ferraillait avec ses camarades de l’époque quand elle abordait les thèmes liés à l’homosexualité. La plupart des anarchistes américains lui demandaient de ne pas trop en parler car déjà les libertaires (synonyme d’anarchiste) avaient du mal à faire entendre leur propagande, alors si en plus il fallait mettre sur la table des sujets explosifs comme la sexualité, alors là, ça en serait fini de leur crédibilité…Les anarchistes havrais, il y a plus de cent ans ont favorisé l’avortement dans un dispensaire syndical et J.C Michéa n’est pas sans connaître les combats menés par le couple Humbert, les Lapeyre…pour la contraception notamment. Ce sont certainement ces avancées chères à Elisée Reclus, dans « Evolution et Révolution » qui font honneur aux libertaires. Le droit en France ne s’établit que lorsque l’opinion publique est prête à accepter un changement et qu’un rapport de force s’est établi.

A en croire les médias dans leur ensemble, quelle unanimité, de jeunes intellectuels se réclameraient de Michéa. Pour ces petits bourgeois qui détestent les bourgeois, Michéa est devenu un gourou dont les écrits sont considérés comme des sourates. Même si cela est dit sous couvert d’humour, cela en dit long sur l’aura du Maître à penser. Des Evangélistes, des catholiques ultra se réclament aussi de Michéa. Le philosophe doit vraiment être fier d’un tel cousinage. La plupart de ces nouveaux convertis s’en prennent pêle-mêle à l’avortement, tout ce qui a trait à la libération sexuelle et l’ignoble « Mai-68 », la nouvelle gueuse. La réaction en vient à critiquer et refuser le préservatif. Ce sont en fait des criminels qui s’ignorent. Le pape François, à côté, doit faire figure d’un sacré gauchiste ! Les catho traditionnalistes que nous qualifions plutôt d’intégristes ont bien joué leur rôle d’éveilleurs des consciences en veillant avec leurs bougies durant les manifs pour tous…

Surfant sur les problèmes liés au terrorisme, la pensée unique, le repli identitaire, cette génération Michéa dite génération fracturée, ne fait que reprendre les mêmes thématiques que leurs anciens ténors de l’entre-deux guerres. Les Arabes ont remplacé les Juifs, la culture d’extrême droite tente de remplacer la culture antifasciste, l’obscurantisme tente de prévaloir sur l’esprit des Lumières.

La nouvelle droite du Grece ressurgit, plus soft que l’Action Française. Rien de nouveau sous le soleil. Ce sont finalement les médias qui font la part belle à une extrême droite ripolinée pour les besoins de la cause. Des têtes pensantes du bloc identitaire au Front National, un anticonformisme de droite qui n’est qu’une resucée  des idées nauséabondes d’un fascisme qui agrandit son nid. Et un Michéa qui va avoir bien du mal à y retrouver ses petits.

Jacques Briollet (Journaliste au Libertaire)