Gilets jaunes: Relire Proudhon

Etat d'urgence copie

À l’heure du grand débat national organisé par le gouvernement, pourquoi lire ou relire Pierre-Joseph Proudhon, philosophe et économiste du XIXe siècle et père de la pensée libertaire ? « Car c’est un auteur qui nous permet de penser la réappropriation de la chose publique par les citoyens » selon Édouard Jourdain, enseignant en science politique et auteur de Proudhon contemporain, CNRS éditions, 2018.

Proudhon et l’insurrection

Édouard Jourdain : « Proudhon, tout au long de sa vie, sera confronté à des insurrections, notamment en 1848. Il sera toujours très enthousiaste par rapport à ces insurrections qui sont contre le pouvoir en place. C’est quelque chose que l’on peut retrouver avec les « gilets jaunes » d’autant plus que dans ce mouvement il n’y a pas de tête, d’organe directeur donc on est sur un modèle horizontal que Proudhon appelait de ses vœux – c’est-à-dire un mouvement sans chef et sans dictateur. Là aussi, Proudhon est d’une  certaine manière sceptique, même par rapport aux insurrections de son époque, dans la mesure où il a peur qu’une insurrection se fasse sans idée, c’est-à-dire que l’on soit uniquement sur le coup de force qui peut amener à terme à une forme de dictature où un leader viendrait pour récupérer le mouvement, contre ce mouvement même. »

“Il faut avoir vécu dans cet isoloir qu’on appelle l’Assemblée nationale, pour concevoir comment les hommes qui ignorent le plus complètement l’état d’un pays sont presque toujours ceux qui le représentent.”

Les Confessions d’un révolutionnaire (1849)

« Proudhon est élu à l’Assemblée nationale en 1848, et se rend compte en tant que député que ceux qui sont censés représenter le pays sont souvent ceux qui le connaissent le moins. À partir de là, il va élaborer cette critique de la représentation en estimant que l’État ne doit pas être coupé de la population et que la population doit réinvestir les institutions politiques. Il a un rapport critique à la démocratie représentative et encourage des formes de démocratie directe – on parle aussi d’autogestion. Il va imaginer des formes de démocratie directe par ce qu’il appelle le fédéralisme. »

Le fédéralisme c’est quoi ?

« En plus d’être d’origine populaire, Proudhon vient de Besançon. Il se rend donc compte de cette forme de centralisme dans lequel on vit toujours. Proudhon, dans sa théorie politique, va développer l’idée de fédéralisme contre l’idée d’un État centralisé, jacobin, qui pour lui amène toujours à une potentielle dictature et une omnipotence de l’État. Donc dans sa théorie politique anarchiste, il y a l’idée que la politique doit toujours se passer au plus près des gens concernés. Il va toujours partir de la base, du quartier, de la commune, du  département, de la région, pour qu’ensuite ça remonte à un sommet. C’est ce qu’on appelle en science politique le bottom-up, c’est-à-dire que ça vient de la base. Eh bien c’est la forme du fédéralisme qui est la plus adaptée. Chez Proudhon il y a un double fédéralisme : politique et économique. Les entités économiques, les entreprises, les usines doivent être en correspondance, en coopération avec les entités politiques : les communes, les départements, les régions, de manière à trouver ce qu’il y a de mieux pour l’intérêt général. »

ETRE GOUVERNE

« Être gouverné, c’est être gardé à vue, inspecté, espionné, dirigé, légiféré, réglementé, parqué, endoctriné, contrôlé, estimé, apprécié, censuré, commandé, par des êtres qui n’ont ni le titre, ni la science, ni la vertu…

Être gouverné, c’est être à chaque opération, à chaque transaction, à chaque mouvement, noté, enregistré, recensé, tarifé, timbré, toisé, coté, cotisé, patenté, licencié, autorisé, apostillé, admonesté, empêché, réformé, redressé, corrigé. C’est, sous prétexte d’utilité publique, et au nom de l’intérêt général, être mis à contribution, exercé, rançonné, exploité, monopolisé, concussionné. pressuré, mystifié, volé ; puis, à la moindre résistance, au premier mot de plainte, réprimé, amendé, vilipendé, vexé, traqué, houspillé, assommé, désarmé, garrotté, emprisonné, fusillé, mitraillé, jugé, condamné, déporté, sacrifié, vendu, trahi, et pour comble, joué, berné, outragé, déshonoré. Voilà le gouvernement, voilà sa justice, voilà sa morale !

J.P. PROUDHON (Idée générale de la Révolution au XIXè siècle).