Durand, l'anarchiste

Cornille Geeroms

Merci à l’arrière petit fils de Cornille Geeroms de nous avoir permis de photographier le buste en bronze de Cornille Geeroms à la fin de sa vie. C’est son fils Constant qui a moulé le buste de son père. Constant travaillait avec son père, rue de la fonderie, à Graville. Tous deux étaient mouleurs et Cornille finira sa carrière comme Maître fondeur.

Durand l’anarchiste

C’est en 1902 que le jeune Jules Durand adhère à la C.G.T. au Havre. Quelques mois auparavant, les syndicalistes sont expulsés de la Bourse du Travail, la majorité du conseil municipal ayant voté la fermeture de celle-ci suite « aux désordres » des 24 avril et Premier mai 1901[1].

Le Cercle Franklin fermé, une perte de cohésion syndicale s’ensuit. Il faut attendre 1906 et la parution de Vérités, organe social, économique, scientifique des syndicats ouvriers, coopératives et universités populaires, pour que la Bourse du Travail reprenne de la consistance et de l’influence.  Ce sont les anarchistes qui redonnent vie au syndicalisme havrais. Ils sont majoritaires et prennent l’initiative de la création d’une Union des Syndicats du Havre et de la Région en 1907, et c’est naturellement que les libertaires Adrien Briollet puis Cornille Geeroms[2] sont élus à la tête de l’Union en 1909, 1910 et 1911.

En 1910, l’Union des Syndicats du Havre et de la Région compte environ 10.000 adhérents et permet ainsi d’appointer un permanent, Geeroms.

Les racines de l’anarchisme au Havre sont profondes[3]. Les anarchistes sont les premiers à essayer d’organiser les chômeurs dès 1886. Dans la région, un fort groupe anarchiste est recensé à Villequier en 1882. Louise Michel, Tortelier et Sébastien Faure remplissent les salles d’auditeurs lors de leurs venues. Le premier journal révolutionnaire havrais L’Idée Ouvrière est un hebdomadaire anarchiste. Il paraîtra durant une année en 1887-1888. Les idées anarchistes au moment de l’Affaire Durand sont alors bien répandues dans cette localité, Jules Durand ne fait donc pas partie d’une génération spontanée de militants libertaires d’autant que Brierre[4], très influent au sein de la corporation des charbonniers est lui aussi anarchiste.

Jules Durand s’aperçoit des méfaits de l’alcoolisme sur le port et notamment chez les charbonniers, il devient abstinent[5]. C’est, en 1910, un syndicaliste non violent, antimilitariste et instruit. Durand possède une formation de bourrelier, ce n’est donc pas un travailleur sans qualification[6]. Il préfère cependant travailler sur le port et tente d’organiser ses frères de misère qui la plupart du temps utilisent le fourneau économique. Il s’est imprégné des lectures des grands auteurs anarchistes : Bakounine, Kropotkine, Reclus…La presse anarchiste est aussi très présente en France et particulièrement au Havre : Le Libertaire, La Guerre Sociale sont les journaux les plus lus. L’Anarchie et Les Temps nouveaux ont également leur lectorat.

Les principaux dirigeants syndicalistes du port, de la métallurgie et des Terrassiers se réclament des idées anarchistes. Aux conditions de travail et de salaire qu’ils essaient d’améliorer, les responsables syndicaux jugent indispensable la création de coopératives de consommation et mettent aussi en place une coopérative de production « l’imprimerie de l’Union » et un dispensaire syndical avec l’appui d’un chirurgien, Monsieur Houdeville[7].

Quand Durand intègre le métier de charbonnier, cette corporation compte pas moins de 600 ouvriers charbonniers : ouvriers des soutes, ouvriers des chantiers et des transports à domicile, ouvriers déchargeurs-déclencheurs[8]. Les charbonniers « quai » déchargent et chargent les navires. Quand l’appareil Clarke est mis en service, ils ne travaillent plus en moyenne que trois jours par semaine et s’ils sont un peu plus payés que dans plusieurs autres ports comme se complaît à le distiller la presse, il n’en demeure pas moins qu’ils travaillent beaucoup moins longtemps et sont assimilés à des travailleurs précaires[9]. La presse[10] fait donc l’impasse sur le chômage de la corporation. Les charbonniers de « chantier » mettent le charbon en sac et le livrent à l’hôpital, par exemple.

Lorsque la grève surviendra le 18 août, les dirigeants du tout jeune syndicat des charbonniers demanderont à leurs camarades de continuer à approvisionner l’hôpital[11]; ils feront preuve d’une attitude modérée, responsable et désintéressée. La grève des charbonniers bénéficie de la sympathie des autres corporations qui à l’instar des gaziers ou des gens de mer organisent la solidarité. A l’opposé, les puissances d’argent n’attendent qu’une occasion pour stopper cette grève préjudiciable à ses intérêts.



[1] RANNOU Patrice, Les 110 ans de L’Union Locale C.G.T. du Havre, Sainte-Marie-des- Champs/Yvetot, Éditions du libertaire, 2007, 130 pages et RANNOU Hélène, La Bourse du Travail du Havre 1892-1914, Rouen, Master 2, Université de Rouen, sous la direction de P. Pasteur, 2009

[2] Il est possible de consulter les notices biographiques de ces militants dans le dictionnaire du Maitron.

[3] GROUPE LIBERTAIRE JULES DURAND, 120 ans d’anarchisme au Havre, de la pierre humide à internet, Le Havre, Brochure, éditions du Libertaire, 2000

[4] Le Maitron

[5] NOURRISSON Didier, Alcoolisme et antialcoolisme en France sous la Troisième République : l’exemple de la Seine-Inférieure, Paris, Haut Comité d’étude et formation sur l’alcoolisme, La documentation française, 1988, 2 tomes.

[6] AVENEL Jean-Pierre, Vie et folie de Jules Durand, Le Havre, Jean-Pierre AVENEL, 1981

[7] RANNOU Hélène, La Bourse du Travail du Havre 1892-1914, Rouen, Master 2, Université de Rouen, sous la direction de P. Pasteur, 2009

[8] Concernant les métiers du port, se référer au livre « Ma vie de docker » de Daniel Hamel et Philippe Merrant- Editions du Havre de Grâce de 2009- 204 pages.

[9] La Vie Ouvrière, décembre 1910

[10] Si nous devions relever les trois organes de presse principaux au Havre, nous citerions : Le Havre Eclair : conservateur, Le Petit Havre : conservateur, Le Progrès socialiste, journal socialiste issu du courant allemaniste.

[11] L’Humanité du 26 novembre 1910