Dix mille habitants à Harfleur

Fortif2[1]

La grande prospérité de Harfleur date du premier de nos souverains modernes, de Philippe-le-Bel.

La plus grosse partie de ses transactions se faisait avec les Flandres, l’Angleterre, mais principalement avec la péninsule ibérique. Les marins d’Aragon, des Baléares du Portugal, les marchands de Castille et de Lombardie apportaient les produits méditerranéens ; ils emportaient en retour des grains, des bois, les draps de Montivilliers, les cuirs des environs, les marchandises descendues de la Seine ou celles que les hourques flamandes venaient entreposer.

Déjà on connaissait l’art d’attirer la marchandise et de retenir les marchands. Contrairement à ce qui s’est trop souvent produit par la suite, on s’efforçait de diminuer les charges des ports, de faciliter les manutentions, d’encourager les étrangers par toutes sortes d’avantages. Les privilèges concédés à cette intention finirent même par faire de Harfleur et de ses annexes un véritable port franc.

Par-là se traduit l’intérêt capital que le gouvernement capétien attacha au commerce maritime. Il l’aida de toutes manières convaincu de travailler pour le bien général du pays.

Voyons donc brièvement la succession de ces mesures. En 1309, Philippe-le-Bel accorde aux Portugais le droit de peser au poids de la ville sans payer aucune taxe. Pour l’intelligence de cette concession, il est utile de savoir qu’il était interdit à tout marchand de peser chez lui au-delà d’un poids de 25 livres, toute marchandises d’un poids supérieur devant être portée au poids royal moyennant l’acquit d’un droit spécial. Les marchandises débarquées sur les rivages de la Seine ou dans le havre de Leure devaient être livrées à Harfleur par les bateliers, en respectant les conventions intervenues. Le prévôt de la ville était obligé de fournir des lamaneurs suivants les besoins. Enfin le Roi voulait que le port soit entretenu de façon que les navires et leurs cargaisons puissent accéder sans danger et sans payer de contribution.

Ces privilèges furent confirmés et étendus par Philippe VI en 1341. Les marchands portugais étaient exempts des coutumes et des dîmes. Le bailli de Caux devait leur fournir, sous réserve d’une location raisonnable, les maisons et les magasins qui leur étaient nécessaires pour eux et leurs biens. Les quais devaient être mis en état pour qu’ils puissent y décharger de jour comme de nuit. Les maîtres de navires ne pouvaient être rendus responsables des dettes de leurs matelots.

Harfleur devenait un port franc ; c’était même plutôt un port espagnol. Les Castillans, nom générique qui désigne alors tous les Méridionaux, y sont chez eux ; ils sont jugés par leurs pairs, deux prud’hommes de leur nation. En temps de guerre, on ne peut saisir leurs biens ; s’ils donnent caution, on ne peut les mettre en prison. Ils ont même le droit, et ceci à cette époque de ferveur religieuse est tout à fait caractéristique, d’opérer le déchargement de leurs navires les dimanches et fêtes.

Evidemment, des faveurs aussi exorbitantes n’étaient pas du goût de tout le monde. Les marchands rouennais, que la concurrence gênait, entreprirent de les faire restreindre. Ce fut en vain et nos rois continuèrent à encourager largement les marchands ibériques.

Ce n’était pas seul le grand cabotage qui alimentait l’activité de Harfleur. Entre les deux rives de la Seine existaient des relations régulières. Des bateaux passagers circulaient continuellement entre Honfleur, les ports du Sud et Leure, Harfleur et la crique de Graville.

Philippe-le-Bel n’avait pas restreint sa sollicitude aux franchises commerciales. Le premier de nos rois, il eut conscience de l’importance de la marine de guerre pour garantir la paix et conduire les guerres. Afin de ne pas dépendre de ses alliés en cas de conflit maritime, il résolut d’avoir une flotte bien à lui, construite dans nos ports, montée par nos marins, toujours prête à prendre la mer.

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