Communisme libertaire et individualisme anarchiste (2)

Semer

Le communisme libertaire exige la planification de l’économie, sa soumission entière aux statistiques issues des intérêts et besoins collectifs, parce que la consommation de tous est compromise si, au lieu de prévoir en bloc, on laisse produire ce qu’il veut. L’individualisme anarchiste, au contraire, estimant que la planification matérielle s’accompagnera nécessairement de la standardisation des esprits, réclame la concurrence la plus large dans le domaine intellectuel comme dans le domaine économique. Lorsqu’ils s’affrontent, le communisme libertaire accuse l’individualisme anarchiste d’être une philosophie petite-bourgeoise, et l’individualisme anarchiste refuse de voir, dans le communisme libertaire, autre chose que l’aile gauche du marxisme révolutionnaire. Le communiste libertaire dit à l’individualiste anarchiste : «  La prétention de l’individu qui veut s’abstraire du social et se retirer de l’histoire est insoutenable. L’homme isolé est plus dépendant que l’homme associé ; et, de même que l’explorateur qui hiverne dans la solitude est tributaire du continent qui lui envoie des parachutages de vivres, de même, l’individu ne consomme rien, ne possède rien, ne pense rien, qui ne lui ait été procuré, transmis ou appris, soit par ses contemporains, c’est-à-dire par la société, soit par ses ancêtres, c’est-à-dire par l’histoire. Mais le droit à jouir des biens spirituels ou matériels étant inégalement répartis, ce qui est une injustice, et cet état de choses étant maintenu par le pouvoir, ce qui constitue une contrainte, il faut se dresser contre la contrainte et l’injustice, contre ceux qui les défendent et en jouissent, et faire une révolution supprimant l’inégalité et le pouvoir qui la maintient entre les hommes ». L’individualiste anarchiste répond au communiste libertaire : « Pour abolir la contrainte, vous userez de la violence, qui est la contrainte portée à son extrême degré, et toute violence une fois déchaînée, ne s’arrêtant point d’elle-même, mais seulement en rencontrant une violence plus grande, votre nouveau régime, né sous ce signe fatal, en restera marqué ; si ce régime ne donne pas satisfaction, ceux qui auront lutté se seront sacrifiés en vain, et, s’il est conforme au plan que vous aurez préalablement tracé, vous serez amené à le défendre par les mêmes moyens de violence grâce auxquels vous l’aurez fait naître ; vous voudrez le défendre parce que vous le regarderez comme meilleur que le précédent et qu’ayant lutté durement pour l’instaurer vous ne serez pas enclins à le laisser mettre en péril. Vous aurez une police pour le protéger à l’intérieur, une armée pour le garantir au-dehors ; vous lèverez des impôts pour entretenir des troupes, vous établirez le service militaire obligatoire en vertu de l’égalité des devoirs qui fera l’équilibre à cette égalité des droits dont vous aurez doté les citoyens, et vous aurez des prisons pour incarcérer les transgresseurs et les réfractaires, peut-être des échafauds pour les supprimer. Nous continuerons donc à nous défier de ce nouveau pouvoir, autant que du précédent qu’il égalera en coercition ». Voilà, à peu de choses près, le dialogue du communiste libertaire, et de l’individualiste anarchiste. Il n’est pas aisé de faire la synthèse de deux doctrines qui comportent de telles dissemblances. Pourquoi certains esprits ont-ils tendance à la tenter ? Tout simplement parce que, comme nous le disions au début, ce sont les mêmes hommes qui s’intéressent à l’une et l’autre et les considèrent, comme imprégnées d’idées contraires, mais comme deux aspects de la même idée. Car une idée, selon que le raisonnement la conduit dans une direction ou dans une autre, ne mène pas aux mêmes conclusions. En outre, ces deux doctrines ont un dénominateur commun, qui est l’anarchisme, c’est-à-dire l’opposition à l’autorité.(à suivre dans le libertaire du mois de décembre 2016)