Blocage de l’économie ?

Goéland LH

Blocage de l’économie ?

Si le 5 décembre 2019 a vu déferler une vague de contestation avec un million et demi de manifestants en France, on est loin des quatre millions de manifestants/grévistes d’août 1953. C’est difficile d’imaginer aujourd’hui un tel nombre de personnes dans les rues, surtout en plein été. Pourtant cette grève de l’été 53 est la mère des batailles pour la défense des retraites. Bataille gagnée par les fonctionnaires, notamment. Les travailleurs parlent davantage de 1995, réforme des retraites voulue par Juppé, le mentor d’Edouard Philippe, qui est resté droit dans ses bottes avant de remiser au placard ses prétentions. L’année 1995 est plus proche dans les mémoires et ce sont surtout les cheminots qui ont fait plier Juppé et les travailleurs du secteur privé, quoique les enseignants n’aient pas démérité.

De 1936, où les occupations d’usines furent la règle, nous déplaçons les conflits, de nos jours, hors les murs de l’exploitation patronale, comme si l’Etat était seul responsable de la situation des travailleurs. Pour le secteur public, du moins ce qu’il en reste, c’est vrai, mais pour le privé les patrons ne doivent pas être exonérés de leur responsabilité. D’autant que le Medef par exemple soutient toutes les réformes antisociales du gouvernement : loi travail, retraites…Et de l’argent, il y en a dans les poches du patronat. Pourtant les travailleurs du secteur privé ne se mobilisent pas en masse sauf peut-être pour les journées saute-mouton. Mais pour la reconductible, on est loin du compte. Les cheminots, traminots et enseignants semblent bien seuls pour la grève reconductible au quotidien.

Alors le blocage de l’économie tel que conçu par le syndicalisme combatif d’aujourd’hui, est-il efficace ou est-ce un leurre ? Les économistes indiquent que localement, les blocages ont un impact mais que globalement tant que l’appareil de production n’est pas bloqué, les effets économiques restent limités sur la conjoncture. En d’autres termes, la croissance n’est que peu impactée par les conflits sociaux à moyen terme car au niveau macroéconomique les pertes de PIB restent minimes, voire marginale sur une année. Les pertes du moment étant rattrapées ultérieurement. Le patronat peut se dispenser de la poste avec le numérique par exemple, ce qui n’était pas le cas en 1953. Il peut anticiper les grèves : faire des réserves d’essence, augmenter ses approvisionnements, différer ses livraisons ou organiser des circuits parallèles, dans certains secteurs faciliter le télétravail…. Bref si un mouvement ne dure pas plus d’un mois et que la production n’est pas bloquée, le patronat et l’Etat laissent pourrir la situation et attendent que l’orage passe. Mai 1968 a réellement déstabilisé le gouvernement, pas le mouvement de 1995. Sauf pour une opinion publique qui était défavorable au gouvernement Chirac dont on embellit d’ailleurs la figure post-mortem.

Les syndicalistes révolutionnaires d’avant 1914 pensaient que la grève générale devait être courte et que les travailleurs devaient à l’issue de celle-ci prendre les outils productif et distributif à leur compte afin d’autogérer la société. Dans la Charte d’Amiens, le congrès «  préconise comme moyen d’action la grève générale et il considère que le syndicat, aujourd’hui groupement de résistance, sera, dans l’avenir, le groupe de production et de répartition, base de réorganisation sociale. ».

Voilà une revendication qui nous semble bien absente des conflits sociaux contemporains car le syndicalisme est inféodé aux partis politiques. Si ceux-ci sont intéressés par la contestation sociale en espérant engranger des votes (aujourd’hui ce sont les municipales de 2020 qui sont dans leur viseur), on s’aperçoit que si le mouvement enfle et est capable de renverser le gouvernement en place, qu’il soit de gauche ou de droite, les dirigeants syndicaux sifflent la fin de la récréation et nous la font à l’envers sous couvert qu’il n’y a pas d’alternative politique crédible. Bien sûr, de multiples secteurs de lutte ne sont pas sur cette longueur d’onde mais tant que les appareils syndicaux seront fagocités par des politiciens ou non bousculés par la base des travailleurs, l’issue de tout mouvement social sera de rentrer au bercail en obtenant  rien, ou dans le meilleur des cas en obtenant quelques miettes. Mais la remise en cause de notre exploitation, du patronat et de l’Etat, n’est que peu abordée et c’est bien dommage.

Patoche (GLJD)