Barbara Lefebvre: La Réaction En Marche

Dessin d'enfant

Dans son article « Effondrement de l’école et conditions de sa reconstruction » paru dans la revue « Souverainisme » N°1, été 2020, Barbara Lefevbre énonce plusieurs inexactitudes, ment par omission pour les besoins de sa cause et nous propose une école réactionnaire comme projet « alternatif » à l’école actuelle. Cette enseignante, en début d’article, détourne Charles Péguy de 1913 : « Nous avons connu un peuple que l’on ne reverra jamais » en « Nous avons connu une école que l’on ne reverra jamais ». Le Péguy de 1913 a évolué vers un « c’était mieux avant » rejetant ainsi le modernisme considérant que  toutes « les antiques vertus » s’étaient altérées. Il nous sera permis de dire que le Péguy de cette époque, catholique fervent et nationaliste, n’est pas notre modèle. Péguy, selon l’auteur de l’article, aurait connu une « école de la République émancipatrice et intellectuellement exigeante à la fin du XIXème siècle ». De quelle émancipation nous parle cette enseignante ? Celle des bataillons scolaires de 1882 ? Celle de l’expansion coloniale française ? Ou celle où Jules Ferry et Ferdinand Buisson seront accusés de faire baisser le niveau d’orthographe des Français. Déjà ! Car depuis Platon, le niveau de l’enseignement baisse, c’est bien connu.

A aucun moment, Madame Lefebvre ne parle du rôle de l’école dans le tri social et la sélection que joue cette dernière au détriment des enfants d’ouvriers. Qu’il nous soit permis de citer Proudhon, si cher à Michel Onfray. Une partie de ce qui est écrit ci-dessous est tiré du livre « Libertaires et Education » (Editions L’Harmattan – 2016) :

[Proudhon, lui, envisage le travail comme un mode d’éducation : « Le travail, réunissant l’analyse et la synthèse en une action continue, le travail…résumant la réalité et l’idée, se présente comme mode universel d’enseignement ». Il considère que l’instruction de l’homme doit être constamment combinée et conçue pour qu’elle dure à peu près toute la vie et veut refonder le système éducatif pour davantage d’égalité sociale.

Proudhon établit une philosophie du travail qui sert d’étayage à ses conceptions pédagogiques. Il réhabilite le travail manuel en essayant de le combiner aux activités intellectuelles. Proudhon se fait ainsi le chantre de l’éducation polytechnique : « (…) de tous les systèmes d’éducation, le plus absurde est celui qui sépare l’intelligence de l’activité et scinde l’homme en deux entités impossibles, un abstracteur et un automate… Si l’éducation était avant tout expérimentale et pratique, ne réservant les discours que pour expliquer, résumer et coordonner le travail, si l’on permettait d’apprendre par les yeux et les mains à qui ne pourrait apprendre par les yeux et la mémoire, bientôt l’on verrait se multiplier les capacités » .

Cette école procède d’un apprentissage polytechnique donné à tout le monde et de l’accession à tous de tous les grades. La pratique des exercices industriels permet aux élèves de mieux comprendre et assimiler les connaissances scientifiques.

Proudhon entrevoit de faire appel aux associations ouvrières et de les mettre en rapport avec le système d’instruction publique. L’émancipation des travailleurs n’est jamais bien loin de ses préoccupations. D’ailleurs, il analyse la séparation de l’instruction et de l’apprentissage comme le meilleur moyen pour les classes possédantes de faire perdurer la reproduction sociale : « Séparer, comme on le fait aujourd’hui, l’enseignement de l’apprentissage, et ce qui est plus détestable encore, distinguer l’éducation professionnelle de l’exercice réel, utile, sérieux, quotidien, de la profession, c’est reproduire, sous une autre forme, la séparation des pouvoirs et la distinction des classes, les deux instruments les plus énergiques de la tyrannie gouvernementale et de la subalternisation des travailleurs. Que les prolétaires y songent ! »

Pour étayer ses propos, il prend comme exemple les grandes écoles : « Si l’école du commerce est autre chose que le magasin, le bureau, le comptoir, elle ne servira pas à faire des commerçants, mais des barons du commerce, des aristocrates. Si l’école de marine est autre chose que le service effectif à bord, en comprenant dans ce service celui même de mousse, l’école de marine ne sera qu’un moyen de distinguer deux classes dans la marine : la classe des matelots et la classe des officiers. »  En d’autres termes, l’école trie et sélectionne au détriment des enfants d’ouvriers : « Nos écoles, quand elles ne sont pas des établissements de luxe ou des prétextes à sinécures, sont les séminaires de l’aristocratie. Ce n’est pas pour le peuple qu’ont été fondées les écoles Polytechnique, Normale, de Saint-Cyr, de Droit, etc. ; c’est pour entretenir, fortifier, augmenter la distinction des classes, pour consommer et rendre irrévocable la scission entre la bourgeoisie et le prolétariat. »

Proudhon fustige cette hiérarchie scolaire : « Dans une démocratie réelle, où chacun doit avoir sous la main, à domicile, le haut et le bas enseignement, cette hiérarchie scolaire ne saurait s’admettre. »  Il est à noter par ailleurs que Proudhon transpose dans ses conceptions théoriques le schéma des loges maçonniques. Après l’atelier-école, l’ouvrier se voit attribuer les grades d’apprenti, de compagnon et de maître. C’est aussi un partisan de la formation continue tout au long de la vie : « En premier lieu, l’instruction de l’homme doit être, comme autrefois le progrès dans la piété, tellement conçue et combinée qu’elle dure à peu près toute la vie. Cela est vrai de tous les sujets, et des classes ouvrières encore plus que des savants de profession. Le progrès dans l’instruction, comme le progrès dans la vertu, est de toutes les conditions et de tous les âges : c’est la première garantie de notre dignité et de notre félicité. »

Proudhon entrevoit de même l’art comme une compétence du citoyen : « Dix mille élèves qui ont appris à dessiner comptent plus pour le progrès de l’art que la production d’un chef d’œuvre. »  Il a écrit de nombreux livres, une œuvre-fleuve, et, en parallèle, a alimenté entre autres les courants fédéralistes, mutuellistes.

Il est considéré comme l’un des fondateurs de la sociologie. S’il est davantage connu pour ses écrits concernant la propriété, les critiques des systèmes capitalistes ou du communisme dogmatique, il n’en a pas pour autant délaissé les problèmes d’éducation qu’il jugeait primordiaux : « Toute éducation a pour but de produire l’homme et le citoyen, d’après une image en miniature de la société, par le développement méthodique des facultés physiques, intellectuelles et morales de l’enfant. En d’autres termes, l’éducation est la créatrice des mœurs dans le sujet humain… L’éducation est la fonction la plus importante de la société. » ]

Proudhon indique clairement, et cela n’a pas changé aujourd’hui, que les grandes écoles permettent d’augmenter la distinction des classes. On aura beau nous parler d’ascenseur social, ce dernier n’existe globalement que pour les étages inférieurs. L’école de la Troisième République est une école qui va donner une instruction pour les besoins de la Révolution industrielle. Celle-ci nécessite une main d’œuvre plus qualifiée. Mais à aucun moment, l’école n’est envisagée comme outil d’émancipation pour obtenir l’égalité économique et sociale.

D’après Madame Lefebvre, l’ambition de l’école républicaine était articulée autour de deux axes : instruire l’individu et former un collectif national. Elle oublie de mentionner que son collectif national correspondait à : « A chacun sa place ». La Bourgeoisie et ses élites à la tête des affaires et des entreprises, les ouvriers à l’usine et les paysans aux champs car l’agriculture avait besoin de bras. Tant qu’à l’instruction de l’individu, hormis les pédagogues progressistes, nous avions plutôt affaire à une éducation grégaire.

Madame Lefebvre constate aujourd’hui que l’école n’instruit plus que les enfants des classes favorisées et ne produit plus une communauté nationale. C’est en partie vrai mais aucune analyse du rôle de l’Etat et de l’école n’est produite dans sa prose. Depuis Proudhon, rien n’a changé dans le fond, toutes choses étant égales par ailleurs. Indiquer comme solution à la crise de l’école qu’il faut revenir à l’articulation autour de trois disciplines scolaires : l’étude de la langue française et de sa littérature, l’histoire et la géographie, la philosophie, c’est le curé qui défend sa paroisse. Faire abstraction de l’esprit scientifique qui induit la rationalité contre tout dogme, de l’étude du numérique à l’heure des réseaux sociaux qui manipulent les informations, de la pratique sportive, des pratiques artistiques, des pratiques d’entraide au sein d’une classe…c’est pour faire court, tourner le dos au présent et à l’avenir. Qu’une enseignante de formation littéraire défende son pré-carré, on peut le comprendre mais faire abstraction des autres disciplines, c’est un peu irresponsable quand on prétend instruire la jeunesse. De même, que l’enseignement du latin, langue morte aujourd’hui, sauf pour le Vatican, soit devenu obsolète, ce n’est pas une perte en soi. Celui qui écrit ces lignes a bénéficié d’un enseignement du latin dès la sixième (les fameuses sixièmes classiques au lycée). Je parle d’un temps que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître…Mes enfants, non latinistes, ne sont pas plus idiot que moi.

Là où le bât blesse, c’est que notre enseignante de référence arrive à un raccourci digne d’un mauvais résumé rédigé par un lycéen peu versé dans la rhétorique. L’école est devenue au tournant des années 1980, « une usine à fabriquer du consentement post-moderne qui aboutit à un recul de la participation citoyenne dans la vie politique ainsi que l’évolution de l’abstentionnisme électoral le démontre au fil des ans ». C’est donc la faute, non à Voltaire, mais à l’école si les gens s’abstiennent de plus en plus massivement. Et ce serait des experts, cette élite technocratique qui serait responsable de l’éloignement du peuple des affaires publiques. Les libertaires que nous sommes s’abstiennent depuis plus d’un siècle ou votaient auparavant « Louise Michel, Proudhon, Elisée Reclus… » quand le vote était encore en bulletin papier, comme de joyeux farceurs car il fallait que le scrutateur/assesseur lise le nom inscrit lors du dépouillement. Mais la plupart ne se déplaçaient pas pour la farce électorale. Cependant, partisans de la Res publica, la chose publique, nous étions et sommes toujours  bien investis dans moult associations, collectifs ou syndicats. Car on peut s’intéresser aux affaires publiques sans participer à la mascarade électorale, biaisée depuis les origines du suffrage universel qui excluait d’ailleurs les femmes, cette moitié du corps électoral.

De nombreux gilets jaunes s’abstiennent de nos jours car ils ne croient plus du tout à la politique politicienne. Mélenchon et Le Pen n’ont pas capté leurs voix à grande échelle, par exemple. Le rôle des élites technocratiques n’est pas de couper le peuple des affaires publiques mais de sauvegarder leur pouvoir de domination et sa transmission. Ces « sachants » ne sont absolument pas contents des taux d’abstention faramineux car ils sentent que la caution démocratique du peuple s’érode. Un système bien huilé est un système avec un semblant de démocratie et les élites n’ont aucun intérêt à couper le peuple du processus électoral, au contraire.

Madame Lefebvre s’attaque de même à l’idéologie politique qui serait le poison de l’institution scolaire. Nous conseillons à cette personne les textes d’anthologie de Jean Jaurès sur le thème de l’éducation ainsi que ceux des anarchistes.

Dans la pensée des fondateurs de l’école laïque, celle-ci devait cimenter la cohésion de la nation en exaltant un civisme républicain et le sentiment national car l’idée de la Revanche vis-à-vis de l’Allemagne prévalait. Géographie, morale, histoire devaient contribuer à cette vision scolaire. Nous avons évoqué Proudhon, nous allons citer maintenant Jaurès : « Les enfants des ouvriers savent de bonne heure quelles sont les conditions d’existence, quel est l’état d’esprit, quels sont les soucis collectifs de la classe ouvrière. Un enfant, qui, pour venir à l’école, a quitté le foyer à demi éteint par le chômage ou par la grève, n’est déjà plus dans la vie un novice ; et si le maître, dans les conseils qu’il lui donne, dans la morale qu’il lui prêche, dans les émotions de vérité, d’art de poésie, qu’il lui communique, dans l’histoire qu’il lui enseigne, dans l’idée de la France qu’il lui retrace, a l’air d’ignorer le grand drame de la vie réelle, de la vie sociale qui projette sa dure lueur sur le front de l’enfant, celui-ci aura l’impression qu’on s’amuse un peu de lui, qu’on le promène encore dans le pays des fables, mais des fables où les hommes, au lieu d’être déguisés en animaux, sont déguisés en abstraction. (Jean Jaurès- REPPS-24/10/1909)

Jaurès opte pour une éducation en prise sur la réalité et non sur l’abstraction. De plus, il est soucieux de concilier patriotisme et internationalisme. Les libertaires, eux,  veulent éviter tout embrigadement et instrumentalisation des enfants et se situent dans une perspective internationaliste. Socialistes et anarchistes savent que le développement du sentiment national aboutit à l’essor du nationalisme, vecteur de guerre. L’histoire leur a donné raison.

Mais passons à l’affirmation de Madame Lefebvre, pour laquelle le corps enseignant allait massivement adhérer au fil du XXème siècle à l’idéologie communiste.

C’est une parfaite méconnaissance du milieu enseignant dont elle fait preuve ici. De l’Ecole émancipée d’avant 1914 à la création de la FEN où celle-ci choisit l’autonomie en 1948 (Motion Bonissel-Valière), les enseignants dans l’ensemble sont anti-staliniens. Il faudra attendre 1992, pour que la FSU à majorité communiste devienne la première organisation syndicale enseignante. Madame Lefebvre se réfère au SNES, majoritaire dans le second degré, mais ignore les enseignants du premier degré qui votent plutôt socialistes dans l’ensemble et n’adhèrent nullement à l’idéologie communiste. Elle parle sans doute, sans jamais les nommer, des nombreux professeurs d’université acquis au Parti Communiste ou d’obédience trotskyste jusque dans les années 1990-2010. Le parti communiste en déliquescence n’attire plus les foules et si l’intersectionnalité se vend bien aujourd’hui dans certains cercles gauchistes, cette tendance reste à la marge et ne peut influer sur le mastodonte Education Nationale. Pas de quoi désespérer Billancourt. Les maux de l’école sont à chercher ailleurs.

Si on évite les poncifs sur Mai 1968, Madame Lefebvre s’attaque cependant au  « pédagogisme », responsable d’un nivellement par le bas, un affaiblissement de la culture générale etc… Et de dénoncer la « défiance à l’égard de l’histoire, une destruction de la géographie comme description des milieux naturels et de leur interaction avec les sociétés humaines pour devenir le missel de l’économie globalisée et de l’écologie bourgeoise… »

Et si le nivellement par le bas était une stratégie de l’Etat pour augmenter le temps passé à l’école et retarder tout simplement l’entrée des jeunes sur le marché de l’emploi ? Au mitan du XIXème siècle, de nombreux travailleurs étaient autodidactes et bons lecteurs. Les Bourses du Travail au début du XXème siècle montaient des bibliothèques. Des alternatives d’instruction existent donc. Mais défiance vis-à-vis de l’histoire ? Cette défiance n’est pas nouvelle, de nombreux instituteurs ont voulu enseigner une autre histoire, celle des petites gens. L’édition par exemple du livre « Nouvelle Histoire de France » publiée par un groupe de professeurs et d’instituteurs de la Fédération de l’Enseignement, en 1927, est significative : « Enfant, Etudie cette petite histoire de ton pays. Elle a été faite pour toi. Elle n’a pas oublié les paysans, les ouvriers d’autrefois qui ont peiné, qui ont souffert. Nous voudrions que leurs peines et leurs souffrances te fassent mieux aimer les paysans et les ouvriers, tous les travailleurs d’aujourd’hui. Sache bien que sans ces travailleurs les grands personnages de l’histoire n’auraient pu accomplir leur œuvre. C’est le travail qui est la base de tout dans la vie d’un pays. Aime l’histoire. Sois curieux du passé de ton village, de ta ville… »

Donc Louis XIV, un grand homme ? Oui mais le royaume était exsangue, la disette était cause de bien des décès et la France n’était qu’un vaste hôpital selon Fénelon. Napoléon, un autre grand homme ou un véritable boucher ? Et Mazarin, la fortune du siècle, ce cardinal, « homme de Dieu » qui volait l’Etat en toute impunité…Dans le livre précité, nous trouvons des textes où les Croisés assassinent par milliers les musulmans puis les femmes et enfants lors de la prise de Jérusalem. Les seigneurs français qui mutilent des paysans normands venus portés leurs doléances au château…C’est aussi l’histoire de France.

En ce qui concerne la géographie, nous nous référons à Elisée Reclus qui bien sûr décrit poétiquement les milieux naturels et leur interaction avec les sociétés humaines ( L’Homme et la Terre) mais nous vivons au XXIème siècle et l’on ne peut se dispenser de la lutte contre le réchauffement climatique. Les pollutions qui rendent la consommation d’eau impropre à la consommation, les algues vertes qui prolifèrent en Bretagne…les usines classées Seveso qui explosent comme à Rouen, les déchets nucléaires que l’on va laisser en cadeau aux générations futures…tout cela n’est pas une vue de l’esprit mais une réalité et il va bien falloir changer la donne pour un autre futur plus radieux et moins irradié.

Mais revenons au pédagogisme. C’est un terme péjoratif employé pour désigner et critiquer le travail d’enseignants qui utilisent des méthodes d’enseignement actives. Celles-ci ne sont pas nouvelles. Elles ont été mises en application par Paul Robin (1880-1894) par exemple à Cempuis. Pour lui, si l’étude théorique des livres est importante, il faut cependant partir des choses concrètes, des faits, de la pratique, de l’expérience ; captiver l’attention, éveiller la curiosité, développer l’esprit d’observation, de recherche et susciter les initiatives. Les leçons, les savoirs livresques ne doivent venir qu’ensuite…Célestin Freinet agira de même. Des milliers d’enseignants opteront pour cette pratique pédagogique et bien avant les années 1980. Avec des résultats scolaires satisfaisants.

Ce qui a changé aux alentours de 2000, c’est la philosophie de l’éducation. Avant cette date, les inspecteurs de l’Education Nationale recherchaient des directeurs d’école capables d’animer des équipes pédagogiques et d’impulser une pédagogie active. Actuellement, nous sommes entrés dans l’ère des inspecteurs qui recrutent des directeurs dociles et surtout loyaux vis-à-vis de l’institution. Des directeurs avec le doigt sur la couture. La marchandisation de l’Education en cours peut s’appuyer sur une hiérarchie qui attend  les ordres. La manne du marché avec privatisation en marche aiguise les libéraux. La casse du service public d’éducation s’accélère comme à l’hôpital, la poste…Les parents les plus avertis contournent la carte scolaire ou inscrivent leur progéniture dans le privé ne laissant aux collèges publics qu’une population scolaire de plus en plus en difficulté. Le fait de concentrer les populations pauvres, immigrées dans des ghettos accélère le processus.

Si l’on veut changer radicalement l’école, il faut déconstruire les ghettos et assurer la mixité sociale. Revenir à l’étude des grands écrivains d’un autre siècle dans les conditions actuelles ne résoudra pas l’équation de l’échec scolaire. Réinventer des imaginaires collectifs, pourquoi pas, mais lesquels ? Ceux de la narration nationale vus par Pétain ? Ce sera sans nous ! D’ailleurs, les figures épiques et mythifiées comme Jeanne d’Arc, De Gaulle…peuvent être récupérées par n’importe quel courant de pensée. Il suffit de voir Marine Le Pen courir après ces personnages pour mieux coller à son programme et duper le peuple.

N’en déplaise à Barbara Lefebvre, j’ai lu de nombreux textes de Le Clézio, Pennac…à des enfants de CM1-CM2 qui écoutaient religieusement en classe. Ce qui ne m’empêchait pas d’étudier des passages de grands auteurs comme Flaubert, Hugo…avec ces mêmes enfants. Par ailleurs, Mme Lefebvre incrimine le niveau intellectuel des enseignants. C’est une erreur car le problème réside non dans le niveau de diplôme mais dans la formation professionnelle dispensée. Vaut-il mieux des professeurs des écoles titulaires d’un Bac avec une formation de deux ans à l’école normale comme c’était le cas auparavant ou des titulaires d’un Master deux travaillant en binôme et en alternance durant une année. Sans compter le contenu de la formation. De nombreux enseignants lisent, sont calés dans certaines disciplines. A aucun moment Mme Lefebvre aborde la composition sociologique des nouveaux enseignants. A quel milieu appartiennent-ils ? Qu’ont-ils vécu ? Seront-ils proches d’enfants de milieux défavorisés ? Pourront-ils les comprendre, asseoir leur autorité car oui, la liberté, c’est la perte progressive d’autorité.

Ne pas tenir compte des problématiques précitées, c’est passer à côté de solutions à proposer.

Mais il me semble que Madame Lefebvre oublie complètement l’école primaire et ses enseignants. Cet oubli transpire finalement le mépris. Pourtant l’école primaire est à la base des fondamentaux. Ne pas donner les moyens aux premiers échelons de l’enseignement c’est obérer les chances de réussite ultérieures. Ne pas piper un mot à ce sujet en dit long sur la mentalité des pseudo-élitistes.

Là où je pourrais être d’accord avec Me Lefebvre, c’est quand elle dit : « combien d’enseignants encouragent leur progéniture à reprendre le flambeau ? » On était souvent dans le milieu enseignant par filiation. C’était vrai auparavant mais si on n’aborde pas le problème de la rémunération, de l’aura de la profession, des conditions de travail…On passe à côté du pourquoi ce désintérêt actuel. Mme Lefebvre sait-elle par exemple que les écoles n’ont aucun budget propre. Que pour fonctionner a minima, elles doivent organiser des vide-greniers, fêtes, ventes diverses…que les budgets des communes alloués aux enseignants pour les fournitures varient de 1 à 10. Que les directeurs d’école sont sans secrétariat dans l’ensemble pour faire fonctionner des écoles parfois avec des effectifs supérieurs à ceux des collèges qui bénéficient statutairement de surveillants, CPE, Principal, principal adjoint, économe…Que les enseignants d’élémentaire ne peuvent changer de séries de livres faute de moyens financiers, que la photocopie noir et blanc a remplacé le stencil…

Voilà des situations d’iniquité qu’il conviendrait de supprimer pour améliorer le fonctionnement de l’école et ses résultats.

Parler d’éducation c’est faire référence aux compétences cognitives, éthiques, physiques et affectives qui permettent à l’individu d’interagir avec son environnement naturel et social. Les problèmes majeurs de l’Education Nationale demeurent l’échec scolaire et l’inégalité croissante entre ceux issus des milieux favorisés et les autres. Les critiques de la « pourcentomanie » et des usines à cases de nos élites dirigeantes, d’une bureaucratie chronophage et stupide, de « la classe auditorium » avec cet auditoire qui s’ennuie et décroche rapidement, se révèlent indispensables mais insuffisantes si l’on ne prend pas en compte l’influence des milieux et le rôle de l’école dans notre société moderne.

La connaissance, sans esprit critique, sans empathie, ne vaut pas grand-chose. A vrai dire, éduquer et instruire les enfants sans entrevoir les finalités de l’éducation et de l’instruction, c’est passer à côté de l’essentiel et rester percher sur son estrade en attendant Godot. Jean Le Gal, ancien instituteur Freinet puis maître de conférences en sciences de l’éducation à l’IUFM de Nantes nous met sur la voie en nous donnant son idée de l’homme et de la société : «  Un Homme autonome, libre et responsable, apte à prendre sa vie en main, mais aussi à coopérer avec les autres, à les accepter dans leur différence et à lutter pour une autre société ; une société dont la liberté, la justice sociale, la fraternité et le travail désaliéné seront les fondements. »

Voilà une conception émancipatrice humaniste, loin d’un souverainisme éducatif ripoliné par les réactionnaires de tous poils.

Patrice Rannou – Groupe libertaire Jules Durand (Le Havre)

 

PS : Macron et Blanquer continuent le travail de sape initié par leurs prédécesseurs contre l’école publique. Leur bienveillance assumée vis-à-vis de l’école privée y compris hors contrat se traduit aussi par une augmentation des petits cours privés. Déjà l’obligation de la scolarité dès trois ans en maternelle a donné une bouffée d’oxygène aux écoles privées ce qui occasionne un financement moindre des écoles publiques selon le principe des vases communicants. La privatisation rampante et continue de l’Education Nationale  suit toujours le même schéma: financements publics altérés, dysfonctionnements des écoles, craintes des parents, solutions privées…Le dernier avatar de la marchandisation de l’école, c’est l’octroi, par l’Education Nationale cet été, à Auchan, en partenariat avec Hatier, du label « vacances apprenantes ». On a échappé à Amazon, Mac Do, Coca cola…mais pour combien de temps.